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Pierre Bourdieu
Pierre Bourdieu en 1996.
Fonctions
Président
Association de réflexion sur les enseignements supérieurs et la recherche (d)
-
Daniel Roche
Directeur
Centre de sociologie européenne
-
Remi Lenoir
Biographie
Naissance
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Denguin (Pyrénées-Atlantiques, France)Voir et modifier les données sur Wikidata
Décès
Voir et modifier les données sur Wikidata (à 71 ans)
12e arrondissement de Paris (France)Voir et modifier les données sur Wikidata
Sépulture
Cimetière du Père-LachaiseVoir et modifier les données sur Wikidata
Nom de naissance
Pierre Félix BourdieuVoir et modifier les données sur Wikidata
Nationalité
françaiseVoir et modifier les données sur Wikidata
Formation
Lycée Louis-le-Grand (à partir de )
École normale supérieure (à partir de )
Lycée Louis-Barthou de PauVoir et modifier les données sur Wikidata
Activités
Philosophe, sociologue, chercheurVoir et modifier les données sur Wikidata
Conjoint
Marie-Claire Bourdieu (d)Voir et modifier les données sur Wikidata
Enfants
Emmanuel Bourdieu
Laurent Bourdieu (d)
Jérôme Bourdieu (d)Voir et modifier les données sur Wikidata
Autres informations
A travaillé pour
Collège de France (-)
École des hautes études en sciences sociales (à partir de )
Faculté des lettres de Paris (à partir de )
Université Lille-IVoir et modifier les données sur Wikidata
Idéologie
Altermondialisme, MarxiensVoir et modifier les données sur Wikidata
Membre de
Académie européenne des sciences et des arts
Académie américaine des arts et des sciences
Association de réflexion sur les enseignements supérieurs et la recherche (d)Voir et modifier les données sur Wikidata
Directeur de thèse
Georges CanguilhemVoir et modifier les données sur Wikidata
Étudiants de thèse
Pascale Casanova, Sandrine Garcia (d), Gisèle Sapiro, Nathalie Heinich, Anne-Marié Waser (d)Voir et modifier les données sur Wikidata
Influencé par
Karl Marx, Gottfried Wilhelm Leibniz, Michel Foucault, Émile Durkheim, Max Weber, Claude Lévi-Strauss, Maurice Merleau-Ponty, Ludwig Wittgenstein, Georges Canguilhem, Thomas d'Aquin, Aristote, Jean-Claude Passeron, Jean-Paul Sartre, Peter L. Berger, Thomas Luckmann, Abdelmalek SayadVoir et modifier les données sur Wikidata
Distinctions
Médaille d'or du CNRS ()Voir et modifier les données sur Wikidata
Liste détaillée
Médaille Goethe ()
Docteur honoris causa de l'université libre de Berlin ()
Médaille d'or du CNRS ()
Docteur honoris causa de l'université nationale et capodistrienne d'Athènes ()
Docteur honoris causa de l'université Johann Wolfgang Goethe de Francfort-sur-le-Main ()
Prix Ernst-Bloch ()
Docteur honoris causa ()
Huxley Memorial Medal ()Voir et modifier les données sur Wikidata
Archives conservées par
Humathèque Condorcet (d)Voir et modifier les données sur Wikidata
?uvres principales
La Distinction, Les Héritiers, La ReproductionVoir et modifier les données sur Wikidata

Pierre Bourdieu, né le à Denguin (Pyrénées-Atlantiques) et mort le à Paris 12, est un sociologue français.

Il est considéré comme l'un des sociologues les plus importants de la seconde moitié du XX siècle. Son ouvrage La Distinction a été classé parmi les dix plus importants travaux en sociologie du siècle par l'Association internationale de sociologie.

Par ailleurs, du fait de son engagement public, il est devenu, dans les dernières années de sa vie, l'un des acteurs principaux de la vie intellectuelle française. Sa pensée a exercé une influence considérable dans les sciences humaines et sociales, en particulier sur la sociologie française d'après-guerre. Sociologie du dévoilement, elle a fait l'objet de nombreuses critiques, qui lui reprochent en particulier une vision fataliste du social dont il se défendait.

Son ?uvre sociologique s'appuie sur une analyse des mécanismes de reproduction des hiérarchies sociales. Bourdieu insiste sur l'importance des facteurs culturels et symboliques dans cette reproduction sociale et il critique le primat donné aux facteurs économiques dans les conceptions marxistes. Il entend souligner que la capacité des agents en position de domination à imposer leurs productions culturelles et symboliques joue un rôle essentiel dans la reproduction des rapports sociaux de domination. Ce que Pierre Bourdieu nomme la violence symbolique, qu'il définit comme la capacité à faire méconnaître l'arbitraire de ces productions symboliques, et donc à les faire admettre comme légitimes, est d'une importance majeure dans son analyse sociologique.

Le monde social des sociétés modernes apparaît à Pierre Bourdieu comme divisé en ce qu'il nomme des « champs ». Il lui semble, en effet, que la différenciation des activités sociales a conduit à la constitution de sous-espaces sociaux, comme le champ artistique ou le champ politique, spécialisés dans l'accomplissement d'une activité sociale donnée. Ces champs sont dotés d'une autonomie relative envers la société prise dans son ensemble. Ils sont hiérarchisés et leur dynamique provient des luttes de compétition que se livrent les agents sociaux pour y occuper les positions dominantes. Ainsi, comme les analystes marxistes, Pierre Bourdieu insiste sur l'importance de la lutte et du conflit dans le fonctionnement d'une société. Mais pour lui, ces conflits s'opèrent avant tout dans des champs sociaux. Ils trouvent leur origine dans leurs hiérarchies respectives, et sont fondés sur l'opposition entre agents dominants et agents dominés. Pour Bourdieu, les conflits ne se réduisent donc pas aux conflits entre classes sociales sur lesquels se centre l'analyse marxiste.

Pierre Bourdieu a également développé une théorie de l'action, autour du concept d'habitus, qui a exercé une grande influence dans les sciences sociales. Cette théorie cherche à montrer que les agents sociaux développent des stratégies, fondées sur un petit nombre de dispositions acquises par socialisation qui, bien qu'inconscientes, sont adaptées aux nécessités du monde social. L'?uvre de Bourdieu est ainsi ordonnée autour de quelques concepts recteurs : habitus comme principe d'action des agents, champ comme espace de compétition sociale fondamental et violence symbolique comme mécanisme premier d'imposition des rapports de domination. Bourdieu a désigné son approche des structures sociales dans leur dimension de constitution et de transformation sous le terme de structuralisme génétique (ou constructiviste).

Biographie

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Famille

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Pierre Bourdieu est né le dans les Pyrénées-Atlantiques à Denguin, petit village du Béarn. Il est le fils unique né du mariage d'Albert Bourdieu (né à Gouze le 19 juillet 1900, en 1980) et de Noëmie Marthe Duhau (née à Ozenx-Montestrucq le 23 juillet 1908, décédée le 11 avril 2005 à Orthez ou née le 22 août 1905 à Lanneplaà, décédée 5 déc 1995 à Pau) qui se sont mariés à Denguin le 26 février 1927. « Pierre » est le prénom de son grand-père paternel (Pierre Bourdieu, né en 1867 et décédé en 1953, à Denguin) et de son arrière-arrière-grand-père (Pierre Bourdieu, en 1864 à Mont), Son père, issu de la petite paysannerie béarnaise (il est fils de cultivateur, petit-fils de laboureur) est d'abord cultivateur journalier, puis devient facteur et, par la suite, facteur-receveur puis receveur des postes de la commune, sans quitter son milieu rural. Sa mère a une origine sociale proche, quoique légèrement supérieure, puisqu'elle est issue d'une lignée de propriétaires à Lasseube. Sa s?ur, Laura Simonnet, étudie à l'École normale supérieure avant de devenir docteure en histoire.

Pierre Bourdieu vivra à Denguin jusqu'à ses 7 ans, puis à Lasseube, où il retournera en vacances tous les étés.

En 1962, il épouse Marie-Claire Brizard, historienne et ingénieure d'étude au CNRS. Il est le père de trois enfants, tous trois normaliens : Jérôme Bourdieu (Lettres, 1984), directeur de recherche en économie à l'INRA ; le réalisateur Emmanuel Bourdieu (Lettres, 1986) ; Laurent Bourdieu (Sciences, 1988), physicien à l'école des neurosciences de Paris.

Formation

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Le lycée Louis-le-Grand, rue Saint-Jacques.

Interne au lycée Louis-Barthou de Pau où la lecture et le rugby seront ses refuges, Pierre Bourdieu est un excellent élève et attire l'attention du proviseur, Bernard Lamicq, ancien élève de l'École normale supérieure (selon Bourdieu : « un des rares, sinon le seul normalien béarnais »), qui l'encourage à s'inscrire en classe préparatoire au lycée Louis-le-Grand de Paris, ce qu'il fait en 1948.

Il est reçu à l'École normale supérieure en 1951. Celui que ses camarades appellent de son deuxième prénom, Félix, y retrouvera peu à peu ses anciens condisciples de classe préparatoire comme Jacques Derrida, Lucien Bianco ou Louis Marin. Alors que la scène philosophique française est dominée par la figure de Jean-Paul Sartre, par le marxisme et par l'existentialisme, Bourdieu réagit comme de nombreux normaliens de sa génération ; ces derniers se sont orientés préférentiellement vers l'étude des « courants dominés » du champ philosophique : le pôle de l'histoire de la philosophie proche de l'histoire des sciences, représenté par Martial Guéroult et Jules Vuillemin, et l'épistémologie enseignée par Gaston Bachelard et Georges Canguilhem.

Pierre Bourdieu soutient en 1953, sous la direction d'Henri Gouhier, un mémoire sur les Animadversiones de Leibniz. En plus de son cursus, il suit aussi le séminaire d'Éric Weil à l'École pratique des hautes études sur la philosophie du droit de Hegel.

Reçu septième à l'agrégation de philosophie en 1954, il s'inscrit auprès de Georges Canguilhem pour une thèse de philosophie sur les structures temporelles de la vie affective, qu'il abandonne en 1957 afin de se consacrer à des études ethnologiques de terrain, ce qui représente déjà un déclassement dans la hiérarchie des disciplines du champ académique (il revient sur cette partie de sa trajectoire académique dans son ouvrage Esquisse pour une auto-analyse).

École normale supérieure, cour aux Ernests.

Début de carrière

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Georges Canguilhem place son thésard à proximité de Paris, comme professeur de philosophie au lycée Théodore-de-Banville de Moulins pour l'année scolaire 1954-1955. Mais Pierre Bourdieu doit remplir ses obligations militaires. Après avoir refusé de suivre la formation d'élève officier de réserve, il est affecté au service psychologique des armées à Versailles. Il est trouvé en possession d'un numéro censuré de L'Express relatif à la question algérienne. Il aurait ainsi perdu son affectation pour raisons disciplinaires, et, rapidement embarqué avec des jeunes appelés en Algérie dans le cadre de la « pacification », il y accomplit l'essentiel du service militaire, qui dure deux ans.

Il fait d'abord partie d'une petite section qui garde un dépôt d'essence. Grâce à l'intervention de sa famille, il est affecté au Gouvernement général d'Alger, dans les services administratifs de la Résidence Générale, sous les ordres de Robert Lacoste. De 1958 à 1960, il poursuit ses études sur l'Algérie en accomplissant des études de terrain et il prend un poste d'assistant à la Faculté des Lettres d'Alger.

Algérie : passage à la sociologie

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Un village kabyle traditionnel.

Cette période algérienne est décisive : c'est là, en effet, que se décide sa carrière de sociologue. Délaissant les « grandeurs trompeuses de la philosophie », il conduit ainsi, sans formation initiale dans ce domaine, toute une série de travaux d'ethnologie en Algérie, qui aboutissent à l'écriture de plusieurs livres. Ses premières enquêtes le mènent dans les régions de Kabylie et de Collo, bastions nationalistes où la guerre fait rage. Sa Sociologie de l'Algérie, synthèse des savoirs existants sur ces trois départements français, est publiée dans la collection « Que sais-je ? » en 1958. Après l'Indépendance algérienne, il publie, en 1963, Travail et travailleurs en Algérie, étude de la découverte du travail salarié et de la formation du prolétariat urbain en Algérie, en collaboration avec Alain Darbel, Jean-Paul Rivet et Claude Seibel. En 1964, il publie Le Déracinement. La crise de l'agriculture traditionnelle en Algérie, en collaboration avec son ami algérien Abdelmalek Sayad, sur la destruction de l'agriculture et de la société traditionnelle, et la politique de regroupement des populations par l'armée française. Après son retour en France, Bourdieu profite, jusqu'en 1964, des vacances scolaires pour collecter de nouvelles données sur l'Algérie urbaine et rurale de l'époque.

Le terrain ethnologique de la population de la zone montagneuse de la Kabylie ne cessa, même après qu'il eut cessé de s'y rendre, de nourrir l'?uvre anthropologique de Pierre Bourdieu. Ses principaux travaux sur la théorie de l'action Esquisse d'une théorie de la pratique (1972) et Le Sens pratique (1980) naissent ainsi d'une réflexion anthropologique sur la société kabyle traditionnelle. De même, son travail sur les rapports de genre, La Domination masculine (1998), s'appuie sur une analyse des mécanismes de reproduction de la domination masculine dans la société traditionnelle kabyle.

L'enquête algérienne s'appuie entre autres sur la pratique photographique, dont quelques clichés illustrent les livres publiés de son vivant par le sociologue. Néanmoins, il reste toute sa vie méfiant et réticent quant à l'emprise trop grande des images, qui donnent une illusion de connaissance et préfère mettre en avant ses textes. Ce n'est que dix ans après sa disparition, en 2012, que les images prises par Pierre Bourdieu cinquante ans auparavant font l'objet d'une première exposition monographique, organisée à Tours par Christine Frisinghelli et Franz Schultheis sous l'égide du « Jeu de Paume », de Camera Austria et de la Fondation Bourdieu.

Chercheur et universitaire

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En 1960, Pierre Bourdieu regagne Paris, pour devenir l'assistant de Raymond Aron à la Faculté de Lettres de l'Université de Paris. Raymond Aron fait également de lui le secrétaire du Centre de sociologie européenne, institution de recherche qu'il a fondée en 1959, à partir de reliquat de structures d'après-guerre et avec l'aide financière de la fondation Ford.

Entre 1961 et 1964, il est maître de conférences à l'Université de Lille, poste qu'il occupe tout en continuant d'intervenir à Paris dans le cadre de cours et de séminaires. À Lille, il retrouve Éric Weil et fait connaissance avec l'historien Pierre Vidal-Naquet et surtout l'herméneute, philologue et germaniste, Jean Bollack qui devient un ami fidèle.

Au milieu des années 1960, il s'installe avec sa famille à Antony, dans la banlieue sud de Paris. La famille rejoint le Béarn pendant les vacances scolaires. Pierre Bourdieu s'intéresse au Tour de France cycliste et pratique à bon niveau de nombreux sports individuels et collectifs, tels le tennis et le rugby en particulier.

Siège principal de l'École des hautes études en sciences sociales (EHESS) au 6 arrondissement de Paris.

École des hautes études en sciences sociales

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En 1964, Pierre Bourdieu rejoint la VI section de l'École pratique des hautes études (EPHE), qui devient en 1975 l'École des hautes études en sciences sociales (EHESS). La même année, sa collaboration commencée plus tôt avec Jean-Claude Passeron aboutit à la publication de l'ouvrage Les Héritiers, qui rencontre un vif succès et contribue à faire de lui un sociologue « en vue ».

À partir de 1965, avec Un Art moyen. Essais sur les usages sociaux de la photographie, suivi en 1966 par L'amour de l'Art, Pierre Bourdieu engage une série de travaux portant sur les pratiques culturelles, qui occupent une part essentielle de son travail sociologique dans la décennie suivante, et qui débouchent sur la publication, en 1979, de La Distinction : critique sociale du jugement, qui est son ?uvre la plus connue et la plus importante pour le champ sociologique, et qui figure parmi les dix plus importantes ?uvres sociologiques du monde au XX siècle dans le classement établi par l'International Sociological Association.

Directeur de centre de recherche

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À l'issue des événements de Mai 68 auxquels Pierre Bourdieu participe en qualité de scientifique, il rompt avec son maître Raymond Aron, penseur libéral, qui désapprouve ce mouvement social. En 1968, il fonde le Centre de sociologie de l'éducation et de la culture, qui s'émancipe du Centre de sociologie européenne. La même année, il publie avec Jean-Claude Chamboredon et Jean-Claude Passeron Le métier de sociologue, un traité dans lequel ils exposent, à partir d'un choix de textes d'auteurs, les méthodes de la sociologie.

En 1985, Pierre Bourdieu devient directeur du Centre de sociologie européenne, dont il avait assuré le premier développement au secrétariat au début des années 1960. Le CNRS exige en 1997 une fusion avec le Centre de sociologie de l'éducation et de la culture. La structure préservant les missions des deux entités est dirigée par son élève Remi Lenoir.

La réception des travaux de Pierre Bourdieu dépasse progressivement le milieu de la sociologie française. Il est en particulier lu dans les milieux historiens francophones, notamment à l'EHESS. Les années 1970 voient émerger une reconnaissance anglo-saxonne. L'Allemagne, grâce à l'action de Joseph Jurt, suit avec plus d'une décennie de retard.

Collège de France

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Fronton du Collège de France.

Grâce notamment à l'appui d'André Miquel, Pierre Bourdieu devient professeur titulaire au Collège de France en 1981.

Sa leçon inaugurale, prononcée le , s'intitule Leçon sur la leçon qui porte sur les leçons inaugurales prononcées au Collège de France.

Ses enseignements et séminaires portèrent sur :

Plusieurs de ces cours ont été publiés (V. bibliographie plus bas).

Il est le premier sociologue à recevoir la médaille d'or du CNRS en 1993.

Éditeur

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Parallèlement à sa carrière universitaire, Pierre Bourdieu a mené une importante activité d'éditeur, qui lui a permis de pleinement diffuser sa pensée. En 1964, il devient directeur de la collection « Le sens commun » aux éditions de Minuit, jusqu'en 1992 où il change d'éditeur, au profit des éditions du Seuil. Dans cette collection, Pierre Bourdieu publie la plupart de ses livres, ainsi que ceux de chercheurs influencés par lui, favorisant ainsi la diffusion de sa pensée. Bourdieu publie également des classiques des sciences sociales (Émile Durkheim, Marcel Mauss, etc.) ou de la philosophie (Ernst Cassirer, Erwin Panofsky, etc.). La collection fait également découvrir aux lecteurs français des sociologues américains de premier plan (traductions d'Erving Goffman). Après son passage aux éditions du Seuil, il y fonde la collection « Liber », en continuité avec la collection « Le sens commun ».

En 1975, il crée, notamment avec le soutien de Fernand Braudel, la revue Actes de la recherche en sciences sociales, qu'il dirige jusqu'à sa mort. Cette publication est un lieu d'exposition de ses travaux et de ceux de ses élèves. Elle se démarque des revues universitaires traditionnelles par le recours à de nombreuses illustrations (photographie, bande dessinées, etc.), son grand format et sa mise en page.

En 1995, à la suite des mouvements sociaux et pétitions de novembre-décembre en France, il fonde la maison d'édition Raisons d'agir, à la fois militante et universitaire, publiant des travaux, souvent de jeunes chercheurs qui lui sont liés, procédant à une critique du néolibéralisme.

Engagement

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À partir du début des années 1980, Bourdieu s'implique davantage dans la vie publique. Il participe notamment au soutien à Solidarno?? en partie en raison de la sollicitation de Michel Foucault. En 1981, Bourdieu, avec Gilles Deleuze et d'autres intellectuels soutiennent le principe de la candidature de Coluche à l'élection présidentielle. Le sociologue y voyait dans les accusations de poujadisme portées contre la candidature de Coluche par les hommes politiques, la volonté de ces derniers de préserver leur monopole de la représentation politique, et de se protéger contre la menace d'un « joueur » qui refuse les règles habituelles du jeu politique, montrant ainsi leur arbitraire. Ce n'est que dans les années 1990 qu'il s'engage pleinement dans la vie publique, réinvestissant la figure de l'intellectuel engagé.

En 1993 est publié La Misère du monde, un ouvrage d'entretiens et de témoignages réalisé par des sociologues et dirigé par Bourdieu. Le livre illustre les effets déstructurants des politiques néolibérales et pointe l'attention sur une forme de misère discrète, invisible et quotidienne. L'ouvrage rencontre un important succès.

Lors du mouvement de , il prend position en faveur des grévistes et prononce notamment un discours à la Gare de Lyon le , dans lequel il critique la « destruction d'une civilisation », à savoir le démantèlement de l'État social. En 1996, il est l'un des initiateurs des « États généraux du mouvement social ». Il soutient également le mouvement de chômeurs de l'hiver 1997-1998, qui lui apparaît comme un « miracle social ».

Pierre Bourdieu prend position en faveur des intellectuels algériens lors de la guerre civile algérienne.

L'axe central de son engagement consiste en une critique de la diffusion du néolibéralisme, de sa rhétorique, et des politiques de démantèlement des institutions de l'État-providence. La plupart de ses interventions sont regroupées dans deux ouvrages intitulés Contre-feux.

Influence et oppositions

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L'implication de Pierre Bourdieu dans l'espace public lui assure une renommée dépassant le monde universitaire, faisant de lui un des grands intellectuels français de la seconde moitié du XX siècle, à l'instar de Michel Foucault ou Jacques Derrida. Toutefois, à l'image de ces deux philosophes, sa pensée, bien qu'elle ait exercé une influence considérable dans le champ des sciences sociales n'a pas cessé de faire l'objet de vives critiques, l'accusant par exemple de réductionnisme (accusation elle-même fortement critiquée).

Il est, dans les médias, un personnage à la fois recherché et contesté, selon l'expression d'un magazine, le plus « médiatique des anti-médiatiques ». Cette figure centrale de la vie intellectuelle française est l'objet de nombreuses controverses. On peut y voir le produit de ses critiques du monde médiatique, ainsi que de son engagement antilibéral. Sa participation à l'émission Arrêt sur images du constitue un épisode à la fois marquant et révélateur du rapport que Pierre Bourdieu a pu entretenir avec les médias : l'émission, qui faisait suite à la grève de , devait rendre compte du traitement médiatique de celle-ci ; Bourdieu en était l'invité principal : considérant qu'il a été empêché de développer librement ses analyses et qu'il a fait l'objet de violentes critiques de la part des autres invités, professionnels des médias ? Guillaume Durand et Jean-Marie Cavada ?, il y voit la confirmation de l'impossibilité de « critiquer la télévision à la télévision parce que les dispositifs de la télévision s'imposent même aux émissions de critique du petit écran ». Peu de temps après, il écrit un petit ouvrage, Sur la télévision, où il cherche à montrer que les dispositifs des émissions télévisuelles sont structurés d'une manière telle qu'ils engendrent une puissante censure ne permettant pas aux productions culturelles et artistiques, scientifiques et philosophiques, littéraires et juridiques d'être diffusées dans de bonnes conditions et déséquilibrant la vie politique et démocratique.

Mort

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Tombe de Pierre Bourdieu et de son épouse au cimetière du Père Lachaise.

Pierre Bourdieu meurt le , à l'âge de 71 ans, d'un cancer généralisé à l'hôpital Saint-Antoine, après avoir souffert d'un intense mal de dos d'origine inconnue. Sa mort suscite une importante couverture médiatique, qui témoigne de sa reconnaissance internationale.

Travaillant durant ses derniers mois à la théorie des champs, il entreprend la rédaction d'un ouvrage, resté inachevé, sur le peintre Édouard Manet, en qui il voit une figure centrale de la révolution symbolique fondatrice de l'autonomie du champ artistique moderne. Peu de temps avant sa mort, Bourdieu termine son Esquisse pour une auto-analyse, ?uvre qu'il se refuse à décrire comme autobiographique mais dans laquelle il s'efforce de rendre compte de sa trajectoire sociale et intellectuelle, à partir des outils théoriques qu'il a forgés.

Sa tombe se situe au cimetière du Père-Lachaise, à Paris, près de celles de Claude Henri de Rouvroy de Saint-Simon et de Jean Anthelme Brillat-Savarin.

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  53. ? Jean-Marie Durand, « Bourdieu, dix ans après », Les Inrockuptibles,‎ (lire en ligne, consulté le ).
  54. ? « 1981, la candidature Coluche lance le vote de crise [INTERACTIF] », Slate.fr,‎ (lire en ligne, consulté le )
  55. ? « La représentation politique », Actes de la recherche en sciences sociales, n 36-37, 1981, p. 7. [lire en ligne].
  56. ? Michel Offerlé, « Engagement sociologique : Pierre Bourdieu en politique », Regards sur l'actualité, n 248, 1999.
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  60. ? Pierre Bourdieu, Contre-feux, Paris, Liber Raison d'agir, 1998, 122 p. (ISBN 978-2-912107-04-6), p. 102-107 : « Le mouvement des chômeurs, un miracle social » (intervention du 17 janvier 1998 lors de l'occupation de l'École normale supérieure par les chômeurs).
  61. ? Pierre Bourdieu : Interventions, 1961-2001. Science sociale & action politique, textes choisis et présentés par Franck Poupeau et Thierry Discepolo, éd. Agone, Marseille, 2001, « Pour un parti de la paix civile » (conférence du 7 février 1994) p. 311-314 et « Arrêtons la main des assassins » (message lu le 16 mars 1994 par Ariane Mnouchkine) p. 307-309.
  62. ? (en) Carlos Albierto Tores, António Teodoro, Critique and utopia: new developments in the sociology of education in the twenty-first century, Rowman & Littlefield, 2007, p. 140.
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  64. ? Loïc Wacquant, « Notes tardives sur le « marxisme » de Bourdieu », Actuel Marx, PUF, n 20,‎ , p. 83-90.
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  68. ? Pierre Bourdieu, Sur la télévision, Liber-Raisons d'agir, (ISBN 2-912107-00-8 et 978-2-912107-00-8, OCLC 38224759), p. 5 :

    « Je pense [?] que la télévision fait courir un danger très grand aux différentes sphères de la production culturelle, art, littérature, science, philosophie, droit ; je crois même que [?] elle fait courir un danger non moins grand à la vie politique et à la démocratie" »

  69. ? « Pierre Bourdieu est mort », Le Monde,‎ (lire en ligne Accès libre, consulté le )
  70. ? (en) Douglas Johnson, « Obituary: Pierre Bourdieu » Accès libre, sur The Guardian, (consulté le ).
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  72. ? (en-US) « Pierre Bourdieu, Leading French Thinker, Dies at 71 », The New York Times,‎ (ISSN 0362-4331, lire en ligne Accès libre, consulté le )
  73. ? (de) « Frankreich: Soziologe Pierre Bourdieu gestorben », Der Spiegel,‎ (ISSN 2195-1349, lire en ligne Accès libre, consulté le )
  74. ? « Pierre Bourdieu (1930-2002) », sur college-de-france.fr.


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