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Naissance |
Finsbury Pavement, Londres, ![]() |
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Décès |
(à 25 ans) Rome, ![]() |
Activité principale |
Poète |
Langue d'écriture | Anglais |
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Mouvement | Romantisme |
Genres |
Poésie |
John Keats (/d??n ?ki?ts/), né le à Londres et mort le à Rome, est un poète anglais considéré comme un romantique de la deuxième génération, celle de Lord Byron et de Percy Bysshe Shelley. Il commence à être publié en 1817, soit quatre années avant sa mort de la phtisie, à vingt-cinq ans.
La poésie de John Keats se réclame de nombreux genres, du sonnet et de la romance spensérienne jusqu'à l'épopée inspirée par John Milton et qu'il remodèle selon ses exigences. Ses ?uvres les plus admirées sont les six odes datées de 1819 : l'Ode sur l'indolence, l'Ode sur la mélancolie, l'Ode à Psyché, l'Ode sur une urne grecque, l'Ode à un rossignol et l'Ode à l'automne, souvent considérée comme le poème le plus abouti jamais écrit en anglais.
De son vivant, Keats n'est aucunement associé aux principaux poètes de la mouvance romantique, et lui-même se sent mal à l'aise en leur compagnie. En dehors du cercle d'intellectuels libéraux gravitant autour de son ami, l'écrivain Leigh Hunt, son ?uvre se voit critiquée par les commentateurs conservateurs comme étant mièvre et de mauvais goût, de la « poésie de parvenu » selon John Gibson Lockhart, et, d'après John Wilson Croker, « mal écrite et vulgaire ».
En revanche, à partir de la fin de son siècle, la gloire de Keats ne cesse de croître : il est alors compté parmi les plus grands poètes de langue anglaise et ses ?uvres en vers, tout comme sa correspondance ? essentiellement avec son frère cadet George et quelques amis ?, figurent parmi les textes les plus commentés de la littérature anglaise.
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Dans la longue lettre-journal que John Keats adresse à son frère George et sa belle-s?ur Georgiana en 1819 se trouve une remarque glissée au milieu d'une anecdote concernant le jeune pasteur Bailey, son ami : « La vie d'un homme de quelque valeur est une allégorie continuelle, et très peu de regards savent en percer le mystère ; c'est une vie qui, comme les Écritures, figure autre chose ». La vie de Keats est elle aussi une allégorie : « la fin, écrit Albert Laffay, est déjà visée dans le commencement ». C'est dire qu'il existe une image temporelle de lui, mais que l'ensemble de son être se construit par étages successifs et que son sens « n'est pas plus à la fin qu'au début ».
Les preuves manquent pour situer exactement le jour de la naissance de l'enfant. Sa famille et lui ont toujours indiqué que son anniversaire tombait le , mais les registres de la paroisse de St Botolph-without-Bishopsgate où il est baptisé font état du . Aîné de quatre enfants ayant survécu ? un jeune frère est mort dans sa petite enfance ?, John Keats a pour frères George et Tom (Thomas), et pour s?ur Frances Mary, dite Fanny (1803-1889), qui épouse plus tard l'écrivain espagnol Valentín Llanos Gutiérrez, auteur de Sandoval et de Don Esteban.
Son père, Thomas Keats, commence sa carrière comme garçon d'attelage à l'enseigne de l'« Auberge du Cygne et du Cerceau » (Swan and Hoop Inn), tenue par son beau-père à Finsbury, Londres. Devenu ensuite gérant de l'établissement, il s'y installe pendant quelques années avec sa famille qui s'agrandit. Keats garde sa vie durant la conviction qu'il est né dans une écurie, ce qui, à ses yeux, constitue une stigmatisation sociale, mais aucune preuve ne corrobore les faits. Le site est maintenant occupé par The Globe Pub, près de Finsbury Circus, à quelques mètres de la gare ferroviaire et métropolitaine de Moorgate (Moorgate Station).
La famille Keats est aimante et soudée, les alentours bruissent de vie et d'allées et venues. Le père est travailleur et espère un jour inscrire son fils aîné dans une école prestigieuse, Eton College ou Harrow School de préférence. En attendant, le jeune garçon fréquente une dame school, école primaire privée tenue par une femme chez elle. Toutes ces écoles ne se ressemblent pas ; beaucoup sont de simples garderies tenues par des analphabètes, mais certaines offrent un enseignement de qualité. Tel est le cas pour celui que reçoit John Keats qui apprend à lire, manie le calcul et a même des notions de géographie. Le moment venu de quitter le foyer approche et, faute de moyens pour bénéficier d'une éducation dans une public school, il entre à l'été de 1803 à l'école du Révérend John Clarke dans le bourg de Enfield, non loin de l'endroit où habite son grand-père à Ponders End. Il y sera rejoint par George, puis, quelques années plus tard, par Tom.
C'est une petite école ? 80 élèves ? modelée sur les Dissenting academies, connues pour leurs idées libérales et offrant un programme d'études plus moderne que celui, traditionnel, des prestigieuses institutions. De fait, si prévalent les disciplines classiques, l'école de Keats est aussi largement ouverte aux langues modernes, au français en particulier (Keats lira plus tard Voltaire et traduira Ronsard), à l'histoire, à la géographie, aux mathématiques et aux sciences physiques et naturelles. L'enseignement tente de se rationaliser, encourageant le doute, le questionnement. Le caractère y a autant d'importance que l'intellect et la discipline reste peu stricte, en grande partie assurée par les élèves que récompensent divers prix (l'évaluation s'étend de O à X, soit de « Très bien » [optime] à « Insuffisant » [unsatisfactory]) selon leur conduite et leurs résultats. Un grand jardin est mis à leur disposition, où ils cultivent des légumes, et que John Keats fréquente assidûment. L'atmosphère familiale qui règne permet une grande liberté de choix : c'est ainsi que Keats s'intéresse aussi à l'histoire et la littérature antique, engouement qui ne le quittera plus. Il apprend le latin mais pas le grec ancien, Mr Clarke, responsable des études classiques, ne l'ayant jamais étudié. Cette lacune ne manquera pas de lui être reprochée, surtout lors de la parution d'Endymion et même de celle des grandes odes de 1819. Il lit Robinson Crusoé, les Mille et une nuits, les champions du gothique, Mrs Radcliffe, Monk Lewis, Beckford, Maria Edgeworth (qu'il finit à Rome) ; mais sa passion l'entraîne ailleurs : il dévore le Panthéon de Tooke et le Dictionnaire classique de Lemprière, offrant de brefs portraits des dieux et des déesses. Le Panthéon, en particulier, lui fournit, dans les premières scènes du poème épique Endymion, les éléments nécessaires au récit des festivités données en l'honneur du dieu Pan et se trouve encore sur ses étagères lorsqu'il meurt en Italie. Il traduit en prose près de la moitié de l'Énéide de Virgile et s'initie avec ferveur au français. Pour lui, la littérature ? et singulièrement la poésie ? est bien plus qu'un refuge, c'est un savoir qui exige un effort et une farouche détermination, une constante exploration dont la récompense, pour qui veut s'en donner la peine, surpasse toute autre expérience, ce qu'il appelle plus tard des « filons d'or », des « eldorados » (realms of gold), expression d'abord employée dans le vers d'ouverture du sonnet Après avoir ouvert pour la première fois l'Homère de Chapman.
C'est vers ses treize ans que ses maîtres remarquent son zèle, couronné par le prix du meilleur essai lors de ses deux ou trois derniers trimestres pour lesquels il reçoit le Dictionnaire de la marchandise de C. H. Kauffman et, l'année suivante, l'Introduction à l'astronomie de Bonnycastle. Entretemps, le fils du directeur, alors âgé de quinze ans, Charles Cowden Clarke, le prend en amitié et lui sert de mentor, le guide dans ses lectures, lui fait découvrir les auteurs de la Renaissance, Le Tasse, Edmund Spenser et les traductions d'Homère par George Chapman. Charles Cowden se souvient de Keats comme d'un garçon déterminé, sans timidité, se faisant volontiers des amis qu'à l'occasion il défend avec impétuosité, exempt de la moindre mesquinerie, apprécié de tous, camarades aussi bien que maîtres et personnel d'intendance. Cela dit, un autre ami, Edward Holmes, le décrit comme « changeant et divers » (volatile), « toujours porté aux extrêmes » (always in extremes), se laissant volontiers aller à l'indolence, et ne craignant pas de faire le coup de poing, même avec un maître de l'école lorsque, un jour, il entend réparer une injustice faite à son frère Tom.
Alors que John Keats n'a que huit ans et demi, survient le premier événement d'une série de deuils et de dislocations familiales qui le hanteront toute sa courte vie. Dans la nuit du , au retour d'une visite à l'école de son fils, où il se rend régulièrement, après avoir dîné à Southgate, son père fait une chute de cheval sur City Road à une heure du matin. Un veilleur de nuit, John Watkins, remarque le cheval qui rentre seul à l'écurie, et trouve le cavalier inconscient. Victime d'un traumatisme crânien avec fracture de l'occiput, il meurt au matin dans son auberge, où il a été transporté.
Le choc est rude, tant émotionnellement que financièrement. Le , Frances Keats, qui vient de se remarier, confie ses enfants, John, George, sept ans, Tom, cinq ans, et Fanny, un an, à sa mère, Alice Whalley Jennings, soixante-quinze ans, veuve depuis 1805 et ayant déménagé à Edmonton au nord de Londres. Cette grand-mère a hérité de son défunt mari une somme considérable et s'est tournée vers un négociant en thé en qui elle a toute confiance, Richard Abbey, associé à John Sandell, qu'elle nomme tuteur des enfants. La plus grande partie des ennuis financiers de Keats découle de cette décision. Non qu'Abbey ait été malhonnête, mais plutôt borné, peu enclin à dépenser et parfois menteur. L'argent qui revient aux enfants est dispensé avec une parcimonie frisant l'avarice et ce n'est qu'en 1833, bien après avoir atteint sa majorité, que Fanny force par voie judiciaire le marchand à abandonner sa tutelle.
La mère de John Keats se remarie deux mois après la mort brutale de son époux avec un certain William Rawlings, ancien responsable d'écurie devenu petit employé de banque. Le mariage est malheureux : Frances quitte son nouveau foyer en 1806, non sans avoir laissé une bonne part des écuries et de son héritage à son second mari, puis disparaît, peut-être pour suivre un autre homme, un certain Abraham, habitant Enfield, selon Abbey. Ce qui est certain, c'est qu'elle sombre dans l'alcoolisme et revient en 1808, encore jeune femme, de 34 ans, mais déprimée, éteinte, percluse de rhumatismes et minée par la phtisie dont elle meurt deux ans plus tard chez sa mère le (John a remplacé sa grand-mère pendant ses absences et il s'est occupé de la malade avec un dévouement passionné). D'après Andrew Motion, dans la mesure où, entre deux crises, il lui lit des romans, il commence à associer la littérature à la possibilité d'une guérison, l'un des thèmes courants dans son ?uvre. La contemplation de la souffrance lui apprend aussi qu'elle peut être source de savoir, non pas seulement sur soi-même mais aussi sur l'humaine condition. Il prend ainsi conscience que le plaisir est indissociable de la douleur, le gain de la perte. C'est ce qu'il exprime plus tard lorsqu'il écrit : « [?] les difficultés affermissent l'énergie intérieure d'un homme ? elles font de nos aspirations principales un refuge autant qu'une passion. »
La double perte de la mère, d'abord lorsqu'elle se donne à Rawlings, puis après son retour quand elle meurt, crée en Keats un schéma de possession et d'abandon courant tout au long de son ?uvre, dans La Belle Dame sans Merci comme dans Lamia, Endymion et même Othon le Grand, son unique pièce de théâtre composée à deux mains avec Charles Brown. De plus, comme il l'écrit à Bailey en , il ressent « un sentiment injuste envers les femmes » : pour lui, les femmes se rangent en deux catégories, ou elles sont parfaites, ou elles sont corrompues. La phrase est extraite d'un long document dans lequel Keats use d'un procédé qui anticipe la psychanalyse, car il remonte à l'enfance pour tenter d'expliquer sa gêne et son opinion. En ses plus jeunes années (schoolboy), explique-t-il en substance, la femme est pour lui une déesse éthérée, bien au-dessus de l'homme. À l'adolescence (boyhood), le mythe s'est écroulé et il a connu la déception. Depuis, il constate qu'en compagnie des hommes, il se sent libre et à l'aise, mais qu'avec les femmes, il reste sans voix, gauche, soupçonneux, il n'a pas confiance. Il y a là ce qu'il appelle « une perversité » ou « un préjugé » qu'il laisse en suspens, car après tout, il doute « que la gent féminine se préoccupe de savoir si Mister John Keats, taille cinq pieds, l'apprécie ou non ». À cela, Andrew Motion ajoute que bien lui en prend de ne rien vouloir changer : La Belle Dame sans Merci, Lamia et plusieurs des odes composées en 1819 dépendent précisément de ce qu'il critique en lui-même.
Désormais orphelin, John Keats assure farouchement le rôle de protecteur à l'égard de ses frères et s?ur, particulièrement de la jeune Fanny. Signe de sa confiance en eux, ses méditations sur son art les plus approfondies leur sont presque exclusivement réservées, par exemple la très longue lettre-journal traitant de ses odes, écrite pour George et sa femme Georgiana.
Vraisemblablement sous la pression de Richard Abbey, Keats quitte Enfield en 1811 pour entrer en apprentissage chez Thomas Hammond, établi à Edmonton, voisin de la grand-mère Jennings, chirurgien et apothicaire respecté, médecin de la famille. Le nouvel apprenti loge dans une mansarde surplombant le cabinet au 7 Church Street, où il demeure jusqu'en 1815. Son ami Charles Cowden déclare qu'il s'agit de « la période la plus placide de toute sa douloureuse vie ». Par là, il entend que, dans l'ensemble ? les deux hommes s'emportent aussi facilement l'un que l'autre ?, les choses se passent bien : les Hammond sont hospitaliers et les méthodes d'apprentissage mises en ?uvre très progressives ; Hammond, praticien consciencieux, reste en relation avec l'hôpital qui l'a formé et qu'il recommande ensuite à Keats.
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En 1814, John Keats dispose de deux donations importantes disponibles à sa majorité : une de 800 £, laissée par son grand-père John Jennings, et une part de l'héritage de sa mère, 80 000 £, somme estimée à environ 500 000 £ au début du XXI siècle, encore accrue par le décès de Tom en 1818.
Il semblerait qu'il n'en ait jamais eu vent, car il n'a fait aucune démarche pour entrer en possession de son argent. L'histoire a tendance à blâmer Abbey pour sa négligence en tant que tuteur légal, mais certains critiques lui accordent le bénéfice du doute et supputent qu'après tout, il aurait été lui-même mal, voire pas du tout informé.
En revanche, le notaire de la mère et de la grand-mère de Keats, William Walton, tenu par obligation de diligence, aurait dû le lui faire savoir. Cet argent eût pu changer le cours de sa vie, car il se débat contre de multiples difficultés, entre autres financières, et son v?u le plus cher eût été de vivre dans une totale indépendance.
L'apprentissage chez Hammond se poursuit et John Keats étudie l'anatomie et la physiologie. À l'époque, la profession de chirurgien ne requiert pas de diplôme universitaire, mais une simple homologation, et Keats est parfois tenté de suivre cette voie. Il sait panser les plaies, dispenser les vaccins, réduire une fracture des os, poser des sangsues. Cependant, au fil des mois et des ans, son enthousiasme pâlit, il souffre de solitude dans sa petite pièce et passe de plus en plus de temps dans les forêts ou à sillonner la campagne. Très souvent, il trouve refuge chez les Clarke à Enfield, distante d'environ sept kilomètres. Lorsque les soirées sont belles, la famille s'assoit sous une tonnelle au fond du vaste jardin. C'est l'époque où Keats termine sa traduction de l'Énéide et lit ? voracement, écrit Charles Cowden Clarke ?, les Métamorphoses d'Ovide, les Bucoliques de Virgile et le Paradis perdu de John Milton. La Reine des fées de Spenser, cependant, lui révèle soudain la puissance poétique de sa propre imagination. Après cette lecture, rappelle Cowden Clarke, John Keats ne fut plus jamais le même et devint un autre être, entièrement absorbé par la poésie, « galopant de scène en scène [?] comme un jeune cheval dans une prairie de printemps ».
Ainsi, l'influence de John Clarke et de son fils Cowden est remarquable à ce stade de sa vie : cette intimité entre ancien élève et professeur, les soirées passées à la table familiale, les longues conversations nocturnes où se discutent les livres empruntés à la bibliothèque font beaucoup pour qu'éclose sa passion poétique et que se confirme sa vocation. En , Keats écrit une Épître à Charles Cowden Clarke et évoque ces visites avec reconnaissance.
La période d'apprentissage avec Hammond ayant pris fin, il s'inscrit en comme étudiant en médecine au Guy's Hospital de Londres. Au bout d'un mois, il est considéré comme assez compétent pour servir d'assistant aux chirurgiens pendant les opérations. C'est là une promotion significative, dénotant une réelle aptitude pour la médecine, mais aussi le chargeant de nouvelles responsabilités. La famille de Keats est convaincue qu'après le coûteux apprentissage chez Hammond et le non moins onéreux séjour au Guy's Hospital, le jeune étudiant a trouvé sa voie, gage d'une longue et fructueuse carrière, et il semble que Keats avalise alors cette opinion. À cette époque, il partage un logement proche de l'hôpital au 28 St. Thomas's Street à Southwark ; parmi les locataires figure en particulier Henry Stephens, futur inventeur de grande renommée et magnat de l'industrie de l'encre. Il suit les cours du chirurgien le plus coté de la place, le D Astley Cooper, et approfondit ses connaissances dans nombre de matières scientifiques et dans la pratique de l'art.
Pour autant, au printemps 1816, il ressent une impatience de plus en plus exigeante, se comporte envers ses camarades étudiants en chevalier de la poésie, celle de Wordsworth en particulier, qui le plonge dans une excitation tenant de l'exaltation. Il est fasciné par le naturalisme du poète, son appel à une imagination séculaire, son usage d'une langue simple et naturelle ? bien différente du style de la romance spensérienne. Bref, la poésie l'habite tout entier : « La science médicale échappe à son attention, écrit Henry Stephens, [?] Pour lui la poésie représente le summum des aspirations humaines [?], la seule qui soit digne d'un esprit supérieur [?] il parle et marche parmi ses camarades d'études comme s'il était un dieu condescendant à se mélanger aux mortels. »
Si la vocation de la médecine faiblit en lui, s'éveille avec force ? et une certaine arrogance ? celle de la poésie. Son poème imité de Spenser (An Imitation of Spenser) date de 1814 alors qu'il a 19 ans. Désormais, il fréquente les cercles de Leigh Hunt et de façon plus espacée, car le jeune lord s'absente souvent, de Lord Byron, fort appréciés de ses amis Clarke, eux-mêmes très libéraux. Le choix de carrière à faire, la pression des créanciers aussi, John Keats connaît des moments de franche dépression. Son frère George écrit qu'il « craint de ne jamais devenir un poète et que si tel est le cas, il mettra fin à ses jours ». Les études se poursuivent néanmoins et en 1816, Keats reçoit sa licence d'apothicaire qui lui donne le droit d'exercer la médecine, la pharmacie et la chirurgie.
Pendant les mois de surmenage et de mélancolie, George Keats présente son frère à ses amies Caroline et Anne Mathew, filles d'un négociant en vin, et leur cousin, le « soi-disant » poète George Felton Mathew. L'amitié qui se noue entre ces jeunes gens est brève mais réelle, et sans doute apporte-t-elle à Keats quelque divertissement. Il entretient avec les deux s?urs une relation littéraire badine et taquine, leur adressant de petits mots écrits en anapestes, soit [? ? ?], comme O Come, dearest Emma! ou encore To Some Ladies, dans le style de Thomas More, populaire sous la régence. Du cousin Mathew, il reçoit des encouragements d'autant plus appréciés que les deux jeunes gens partagent les mêmes vues politiques, et beaucoup d'entrain. John Keats lui fait découvrir Shakespeare. Trente ans plus tard, Mathew rend compte de ses impressions au biographe Richard Monckton Milnes et lui assure que Keats « avait une santé solide, se sentait bien en compagnie, savait s'amuser de bon c?ur avec les frivolités de la vie et avait toute confiance en lui-même ». Il ajoute que sa sensibilité restait en plein éveil et que, par exemple, lorsqu'il lisait à haute voix des passages de Cymbeline, ses yeux se mouillaient de larmes et sa voix trébuchait d'émotion.
En , Charles Brown présente John Keats à Leigh Hunt, ami de Byron et Shelley, fort influents dans les cercles littéraires. Ces deux derniers poètes, malgré leur réserve de classe envers le cockney, le Londonien de basse couche, éprouvent de la sympathie pour lui : le premier se dit « son admirateur », le second « son ami ». Trois années plus tôt, en 1813, Leigh Hunt et son frère John ont connu la prison pour avoir publié un manifeste contre le Régent. Cet épisode avait donné l'occasion à Keats de composer un poème, Sonnet écrit le jour où Hunt est libéré de prison, 1 octobre. Depuis, s'il écrit divers petites pièces comme son Épître à George Felton Mathew (Epistle to George Felton Mathew), sa première ?uvre connue est un sonnet, O Solitude !, que Leigh Hunt offre de publier dans son magazine littéraire The Examiner, de tendance très libérale, ce qui est fait le 3 mai. Après une nuit de septembre passée à lire avec Clarke la traduction d'Homère de George Chapman, paraît le par la même voie Après avoir ouvert pour la première fois l'Homère de Chapman (On First Looking into Chapman's Homer) :
Much have I travell'd in the realms of gold, |
J'ai longtemps voyagé dans les eldorados, |
Charles Cowden Clarke écrit que pour John Keats, le jour de la parution est à marquer d'une pierre blanche (a red letter day), qu'il y a ici la première manifestation reconnue de la validité de ses ambitions. Ce « mâle et beau » sonnet affiche une réelle unité, l'image de la découverte, qui culmine dans le tableau de Cortés debout sur la cime, se trouvant implicite dès le premier vers ; le huitain et le sixain ont chacun leur crescendo, et le poète va de l'exploration à la révélation, sa quête passionnée trouvant son Graal dans le dernier vers du second quatrain : Avant d'entendre la voix haute et forte de Chapman. Alors, l'explorateur des mers tourne le regard vers le ciel et semble entrevoir une nouvelle planète. Comme souvent dans ses poèmes à venir, il répond ici à la puissance imaginative d'un autre poète. L'imparable diction poétique, l'agencement même des sons, par exemple la vision métaphorique de l'océan d'émerveillement amplifiée par des voyelles longues, wild (wa?ld), surmise (s??'ma?z), qui bientôt s'éteignent en une série de syllabes faibles, silent (?sa?l?nt), peak (pi?k), Darien ('dar??n), témoignent de sa maestria.
Albert Laffay loue l'influence de Leigh Hunt sur John Keats. Il évoque le ravissement du jeune homme lorsqu'il se rend à son cottage de Hampstead, « dans un absolu contraste avec son noir quartier et ses études de médecine ». Keats décrit des retours de nuit à pied vers Londres et leur consacre deux sonnets à l'automne de 1816, Keen fitful gusts? (« Rafales capricieuses et glaciales ») et On leaving some Friend at an early Hour (« Après avoir pris congé d'un ami au bout de la nuit »). Hunt, ce « rossignol qui parle » (the talking nightingale), lui inspire une véritable fascination.
En revanche, l'auteur (anonyme) de l'article que la Poetry Foundation lui consacre émet certaines réserves sur ce modèle alors que se construit la personnalité littéraire du poète : il déplore son style luxuriant qu'ornent trop d'adjectifs en « ?y » ou « ?ly », comme bosomy, scattery, tremblingly (« [Traduction littérale] à la poitrine généreuse, éparpillant, de façon tremblante »), son emploi systématique d'un anglais non châtié, la coloration militante de ses vers, non pas tellement par les mots que par leur structure prosodique, d'où l'usage obligé de l'enjambement, du rejet de la césure hors du médian du vers pour la poser après une syllabe faible, ce qui revient à « casser » l'« aristocratique » distique héroïque toujours en faveur chez les poètes plus conservateurs. Pour autant, John Keats a d'autres modèles que lui, et à tout prendre, l'un des rôles de Hunt consiste à entretenir en lui la foi poétique et finalement ? quoique inconsciemment ? à l'inviter à le surpasser.
S'il se consacre surtout à la poésie, John Keats n'en poursuit pas moins sa formation au Guy's Hospital (deux trimestres par an, octobre - mi-janvier et - mi-mai), car il envisage de devenir membre du célèbre Collège royal de chirurgie (Royal College of Surgeons).
En 1816, il publie le sonnet To my Brothers (« À mes frères ») et emménage au début de l'été au 8 Dean Street près du Guy's Hospital à Southwark. Le , Keats passe avec succès les épreuves du certificat de chirurgie : l'année a été rude (son ami Stephens échoue). Puis il part au bord de mer avec Clarke pour échapper à la touffeur crasseuse de son borough londonien, reprendre ses esprits et écrire. D'abord, les deux jeunes gens séjournent à Carisbrooke dans l'île de Wight, puis à Margate où les rejoint Tom et, après un détour par Canterbury, Keats renvoie Tom à Londres et gagne le sud sur le conseil de Haydon. Sa destination est un petit village, Bulverhythe, également connu sous les noms de West St Leonards, Bo Peep, Filsham, West Marina, ou Harley Shute, près de Hastings dans le Sussex. Là, il rencontre Isabella Jones, belle, talentueuse et plutôt cultivée, qui reste une figure énigmatique. Sans être issue de la meilleure société, elle jouit d'une réelle aisance financière. John Keats ne fait pas mystère du désir qu'elle éveille en lui, encore que d'après Gittings, les rencontres s'en tiennent à des jeux préliminaires. Il écrit à son frère George qu'il « rend visite à sa chambre » (frequented her room) au cours de l'hiver 1818-1819, qu'il « s'échauffe avec elle et l'embrasse » (warmed with her and kisses her) ; bref, ajoute Robert Gittings, c'est sans doute là son initiation sexuelle. Isabella lui tient même lieu de muse, a l'idée des thèmes de La Vigile de la sainte Agnès, de La Vigile de la saint Marc, et même du court poème Hush, Hush! [?] O sweet Isabel (Chut ! chut ! [?], ô douce Isabelle), la première version de Bright star (would I were steadfast as thou art). En 1821, Isabella Jones est la première à être informée de la mort de Keats.
Tout au long de ce séjour, il écrit beaucoup, des poèmes, Calidore par exemple, et aussi des lettres, dans lesquelles il déploie une réelle virtuosité à enchaîner plaisanteries et anecdotes, coquineries ou paillardises, des imitations de la verve comique de Shakespeare, du commérage et de la moquerie, et beaucoup de nonsense.
De retour à Well Walk au début de juin, il n'en a pas fini avec la médecine, se rapproche encore de l'hôpital au 9 Dean Street et reprend son activité d'assistant médecin parmi les sombres ruelles, ce qui lui permet de survivre avant que sa majorité à vingt-et-un ans ne lui ouvre le plein exercice de sa science.
La fin de l'année 1816 et le début de 1817 sont riches en publications plus ou moins réussies. Après le premier succès du sonnet consacré à la traduction d'Homère, paraît un recueil comprenant I stood tip-toe (« Je me tenais sur la pointe des pieds ») et Sleep and Poetry (« Sommeil et poésie »), tous les deux portant l'influence de Leigh Hunt. Lors des séjours de Keats à son cottage, un petit lit est ouvert pour lui dans la bibliothèque et c'est là que les sonnets sont écrits. John Hamilton Reynolds est le seul à leur consacrer un compte rendu favorable dans The Champion, mais Charles Cowden Clarke déclare que, vu son succès, « à la rigueur, le livre aurait eu une chance à Tombouctou ». Les éditeurs de Keats, Charles et James Ollier, ont honte de cet échec et, d'après Andrew Motion, prient le poète de s'en aller. Ils se voient aussitôt remplacés par Taylor et Hessey de Fleet Street qui, eux, s'enthousiasment pour cette poésie. Aussitôt, ils prévoient un nouveau volume payé d'avance et Hessey se lie d'amitié avec Keats. D'ailleurs, leur maison d'édition réserve des pièces où les jeunes écrivains peuvent se rencontrer et travailler. Peu à peu, leur liste d'auteurs finit par comprendre Coleridge, William Hazlitt, John Clare, Thomas Jefferson Hogg, Thomas Carlyle et Charles Lamb.
John Taylor et Hessey présentent John Keats à leur conseiller, l'ancien étonien Richard Woodhouse, qui s'avère être un excellent guide littéraire et précieux en affaires juridiques. Fort admiratif des Poèmes récemment publiés, il ne manque pas, cependant, de remarquer chez l'auteur « l'instabilité, les tremblements, la tendance à facilement se décourager », mais se persuade de son génie qui en fera, prédit-il, un maître de la littérature anglaise. Peu après se scelle entre les deux jeunes gens une amitié indéfectible. Woodhouse entreprend de collectionner tous les écrits de Keats et les documents relatifs à sa poésie (Keatseriana). Cette archive reste l'une des principales sources d'information sur son art. Andrew Motion compare Woodhouse à James Boswell au service d'un nouveau Samuel Johnson, n'ayant de cesse de promouvoir les ?uvres du maître et de prendre sa défense lorsque des plumes malfaisantes se lèvent pour l'attaquer.
Peu importe les piques de la critique lors de la parution du recueil Poems, Leigh Hunt publie un essai intitulé Trois jeunes poètes (Three Young Poets), Shelley, John Keats et John Hamilton Reynolds. Il y ajoute le sonnet Après avoir ouvert pour la première fois l'Homère de Chapman (On First Looking into Chapman's Homer) et conclut que l'avenir poétique est gros de promesses. Il présente Keats à nombre de personnalités de l'intelligentzia, le rédacteur-en-chef du Times, le journaliste Thomas Barnes, l'écrivain Charles Lamb, le chef d'orchestre Vincent Novello et le poète John Hamilton Reynolds. John Keats fréquente aussi William Hazlitt, l'un des régents des lettres de l'époque. Désormais, il est perçu par le public éclairé comme faisant partie de la « nouvelle école de poésie » (new school of poetry), comme l'appelle Hunt. C'est l'époque où, le , il écrit à son ami Benjamin Bailey : « Je ne suis sûr de rien sinon du caractère sacré des affections du c?ur et de la vérité de l'imagination. La beauté que capte l'imagination est à coup sûr la vérité », passage qui annonce la fin de l'Ode sur une urne grecque.
Au début de , poussé de façon pressante par ses amis, Keats annonce à Richard Abbey qu'il abandonne la médecine pour se consacrer à la poésie. Abbey est furieux, d'autant que de longues années d'apprentissage et d'études ont fait du jeune homme un bon praticien. De plus, il est en proie à d'énormes difficultés d'argent, endetté mais toujours généreux, prêtant de grosses sommes au peintre Benjamin Haydon, 700 £ à son frère George émigré en Amérique, au point qu'il n'est plus capable d'honorer les intérêts de ses propres emprunts. John Keats donne plus tard une explication à cette décision : elle ne serait pas seulement due à sa vocation de poète, mais aussi le résultat de son dégoût pour la chirurgie.
En , l'hôpital n'est plus qu'un souvenir ; John Keats, qui souffre de rhumes incessants, quitte l'appartement humide de Londres et s'installe avec ses frères au 1 Well Walk à Hampstead village, un quartier cossu du nord de Londres. Tom est malade et ses deux frères prennent soin de lui. La maison est proche de celle de Leigh Hunt et de celles des poètes qu'il protège. Coleridge, aîné des romantiques de la première génération, ne réside pas loin, à Highgate, et le , Keats et lui font une longue promenade sur la lande. Dans une lettre à George, Keats raconte qu'ils ont parlé de « mille choses, [?] des rossignols, de la poésie, de la sensation poétique, de métaphysique ». À cette époque, il est aussi présenté à Charles Wentworth Dilke, écrivain et critique de tendance libérale, et son épouse Maria, et James Rice pour lequel il compose un sonnet.
En , John Keats laisse Tom, qui va mieux, aux bons soins de la logeuse Mrs Bentley et entreprend une grande randonnée à pied dans le Pays des lacs et en Écosse en compagnie de Brown. Son frère George et sa toute jeune femme Georgina les accompagnent jusqu'à Lancaster puis poursuivent leur route en diligence jusqu'à Liverpool d'où ils s'embarquent pour l'Amérique. De fait, ils ont décidé de s'expatrier pour devenir fermiers à Louiseville dans le Kentucky. George y devient peu à peu une personnalité respectée, d'abord à la tête d'une scierie, puis d'une entreprise de bâtiments. Ruiné pour s'être porté garant d'emprunts contractés par des amis, il meurt sans le sou, de la phtisie comme ses deux frères selon certains critiques, ou, selon d'autres, d'une affection gastro-intestinale. Quant à Georgina, elle épouse, deux ans après la mort de George, un certain Mr John Jeffrey en 1843, chez qui elle emménage à Cincinnati, Ohio, puis à Lexington, Kentucky, où elle meurt.
En , sur l'île de Mull, Keats prend froid et souffre d'un mal de gorge persistant. « Trop maigre et trop fiévreux, il ne peut poursuivre le voyage ». « C'est sur l'île de Mull, écrit Andrew Motion, que commence la fin de sa brève vie et que débute sa lente mort ». Le au matin, il gravit les pentes du Ben Nevis et écrit un sonnet sur sa cime. Peu après qu'il a quitté Inverness, arrive une lettre de Dilke : Tom est au plus mal. John Keats rentre seul à Londres et ce qu'il trouve chez lui l'horrifie : son petit frère alité, émacié, sans force, fiévreux, comme vieilli, et avec une douleur intolérable aux côtés et dans les épaules. Il entreprend aussitôt de le soigner, s'exposant à la contagion de manière d'autant plus risquée qu'il est lui-même affaibli : la consomption est la malédiction de cette famille, et cette maladie, qui ne recevra le nom de tuberculose qu'en 1839, demeure stigmatisée, supposée trahir une faiblesse de constitution congénitale, des désirs sexuels refoulés, l'habitude de la masturbation. D'ailleurs, Keats ne la nomme jamais. Tom meurt le .
En octobre 1818, John Keats a fait la connaissance de Fanny Brawne, fille d'une ancienne locataire estivale de son ami Charles Armitage Brown qui, comme beaucoup de Londoniens, loue sa maison pendant ses absences à la belle saison. Conquise par Hampstead, Mrs Brawne s'y est installée et est devenue une voisine.
Depuis le mois de février 1819, il a rejoint sur son invitation Charles Brown dans sa demeure flambant neuve de Wentworth Place, une villa de style georgien située au bord de la lande de Hampstead (Hampstead Heath), à quinze minutes de marche de son ancienne maison de Well Walk. C'est une construction double dont les Dilke occupent l'autre moitié ; le loyer annuel s'élève à 5 £ et comprend le partage des factures de boisson. De toute façon, c'est Brown qui entretient quasi complètement le jeune poète, lui consent des prêts et veille également à ses manuscrits. Les deux amis entreprennent d'écrire à deux mains une tragédie, Otho le Grand (Otho the Great). Ils espèrent qu'elle sera jouée par le célèbre Kean et tiendra suffisamment l'affiche pour rapporter quelque argent.
Pendant l'hiver 1818?1819, Keats commence à écrire ses ?uvres les plus mûres, inspiré par une série de conférences données par William Hazlitt sur les poètes anglais et l'identité poétique, et par sa fréquentation plus régulière de William Wordsworth. Déjà auteur de très grands poèmes, comme Isabella, adaptation de Pot de Basile du Décaméron (IV, V) de Boccace, il entreprend de terminer Endymion dont il reste peu satisfait et que rosse la critique. Pour autant, c'est au cours de l'année 1819, et singulièrement au printemps, que sa plus grande poésie est composée ou terminée, Lamia, les deux versions de Hyperion, commencée en , La Vigile de la sainte Agnès et surtout les six grandes odes, Ode à Psyché, Ode sur une urne grecque, Ode sur l'indolence, Ode sur la mélancolie, Ode à un rossignol et Ode à l'automne, cette dernière par une belle soirée de septembre : toutes sont transcrites par Charles Armitage Brown, puis présentées à l'éditeur Richard Woodhouse. La date exacte de composition reste inconnue : seule la mention « » figure sur les cinq premières. Si l'ensemble partage la même structure formelle et la même thématique, rien au sein de cette unité ne laisse transpirer l'ordre dans lequel elles ont été accomplies. L'Ode à Psyché ouvre peut-être la série. L'Ode à un rossignol donne lieu à une polémique posthume entre voisins qui diffèrent quant au lieu où le poème voit le jour. Charles Brown, qui loge Keats, déclare que l'épisode se passe à Wentworth Place, sa maison de Hampstead, sous un prunier du jardin. Il ajoute que le poète rédige le poème en une seule matinée :
« In the spring of 1819 a nightingale had built her nest near my house. Keats felt a tranquil and continual joy in her song; and one morning he took his chair from the breakfast-table to the grass-plot under a plum-tree, where he sat for two or three hours. When he came into the house, I perceived he had some scraps of paper in his hand, and these he was quietly thrusting behind the books. On inquiry, I found those scraps, four or five in number, contained his poetic feelings on the song of the nightingale. »
« Au printemps 1819, un rossignol a établi son nid près de ma maison. Keats éprouvait à son chant une joie tranquille et continuelle ; et une matinée, il prit sa chaise de la table à déjeuner, et l'emporta sur un carré de pelouse situé sous un prunier où il resta assis deux ou trois heures. Quand il revint à la maison, je m'aperçus qu'il avait quelques feuillets à la main qu'il rangea brusquement derrière des livres. En cherchant, je trouvai ces brouillons, au nombre de quatre ou cinq, contenant ses sentiments poétiques sur le chant du rossignol. »
Brown s'enorgueillit de ce que le poème n'ait été préservé que par ses soins et se soit trouvé directement influencé par sa demeure ; mais selon Andrew Motion, ceci demeure subjectif, Keats ayant plutôt compté sur sa propre imagination ? et nombre de sources littéraires ? pour méditer sur le chant du rossignol. Quant au voisin, Charles Wentworth Dilke, il dément les dires et l'anecdote de Brown, rapportés dans la biographie de Richard Monckton Milnes publiée en 1848 ; pour lui, il s'agit là de « pure délusion » (pure delusion), ce qui implique, en anglais comme en français, une illusion des sens.
C'est par l'intermédiaire des Dilke que John Keats rencontre en Fanny Brawne, jeune fille de dix-huit ans (née le ). Sa mère, Mrs Brawne, veuve depuis 1810, apprécie le poète et en parle souvent en bien à ses connaissances. Fanny, la langue bien pendue, avec de l'entrain, parlant français et allemand, grande admiratrice de Shakespeare et Byron, avec une prédilection pour les romans à deux sous (trumpery novels), spirituelle et vive, se plaît à discuter de politique ou de littérature avec lui, comme elle le fait avec ses voisins anglais et aussi les exilés français qui, après la Révolution, se sont installés à Hampstead. Plus tard, elle souligne l'allant et la bonne humeur de son interlocuteur, seulement assombris lorsque la santé de Tom le préoccupe. Après la mort de ce frère aimé, pour soulager sa souffrance ? « l'amour fraternel est plus fort que celui qu'on porte à une femme, avait-il écrit » ?, elle l'encourage à se détourner du passé et de l'introspection, et sa vivacité lui redonne l'amour de la vie : « bientôt, il retrouva sa gaieté ». Sans tarder, il s'éprend passionnément de la jeune fille ; d'après Richardson, il l'idéalise jusqu'à la profonde souffrance et son imagination la métamorphose en princesse de légende. John Keats lui demande sa main le ; Fanny la lui accorde, et les fiancés gardent le secret.
Fanny se rend souvent à Wentworth Place. Le poète danse mal et, de toute façon, se sent trop fatigué pour la sortir. Aussi, elle se laisse parfois inviter par des officiers, amis de sa mère et des Dilke, ce qui plonge Keats dans l'angoisse. Pourtant, il juge que sa présence, agréable et quasi constante, le distrait de sa vocation de poète. Mai a vu naître sous sa plume une succession de chefs-d'?uvre, mais juillet ? il faut laisser la place aux locations saisonnières ? l'envoie à l'île de Wight, et pendant plusieurs mois, avec quelques interruptions, les deux jeunes gens échangent une correspondance riche d'émotions, de réflexions (sur l'amour et la mort), et parfois de piques de jalousie. Las de l'île, Charles Armitage Brown et lui marchent jusqu'à Winchester où ils terminent leur tragédie (Otho the Great), et en , après un voyage à Londres pour discuter avec Abbey des difficultés rencontrées par George et Georgiana, Keats s'en revient épuisé, transi, fiévreux, titubant au point que Brown le croit ivre.
Alors qu'il se met au lit, il a un léger accès de toux et, à la vue d'une goutte de sang sur le drap, effectue immédiatement sur lui-même, en tant que médecin, son propre diagnostic avec le pronostic fatal qui l'accompagne, déclarant à Brown : « Je connais la couleur de ce sang ; cela vient d'une artère [?] Cette goutte de sang est un arrêt de mort ». Plus tard dans la nuit survient une abondante hémorragie pulmonaire qui le fait suffoquer. Fanny raréfie ses visites par crainte de le fatiguer, mais passe parfois devant sa fenêtre en revenant de promenade, et tous deux échangent de fréquents petits mots.
Le , alors que s'accentue la fréquence des crachements de sang, Keats offre à Fanny de lui rendre sa parole, ce qu'elle refuse. En mai, alors que Brown voyage en Écosse, il demeure à Kentish Town près de Leigh Hunt, puis chez Hunt même. De plus en plus, les médecins recommandent un climat clément, par exemple celui de l'Italie. Shelley, qui se trouve à Pise, invite le malade à le rejoindre, mais il répond sans enthousiasme. En août, Mrs Brawne le fait revenir à Hampstead et, aidée par Fanny, s'occupe de lui. Le , il est de retour à Wentworth Place pour la dernière fois.
Mrs Brawne ne consent toujours pas au mariage, même si elle promet qu'« au retour de John Keats d'Italie, il épousera Fanny et vivra avec eux ». Le , Fanny transcrit l'adieu que John Keats dicte pour sa s?ur, puis brûle les lettres d'amour qu'elle lui a adressées. Ils échangent des cadeaux : Keats offre son exemplaire de The Cenci, la tragédie en vers de Shelley publiée en 1819, son folio de Shakespeare annoté, sa lampe étrusque et sa propre miniature ; Fanny présente un carnet neuf, un coupe-papier, une boucle de cheveux, et en prélève une en échange ; elle double la casquette de Keats de soie et garde un morceau de tissu en souvenir ; enfin, dernière offrande, elle lui confie une cornaline. Selon Plumly, ces adieux marquent pour le poète son entrée dans ce qu'il appelle « son existence posthume » (posthumous existence).
Charles Armitage Brown est en vacances, Leigh Hunt indisponible, et c'est Joseph Severn, peut-être le moins proche des amis mais, en définitive, le plus dévoué, qui, contre la volonté de son père, l'accompagne le sur la Maria Crowther à destination de l'Italie. Des vents contraires retiennent le navire dans la Manche pendant une semaine et les passagers débarquent à nouveau à Portsmouth. John Keats et Severn en profitent pour aller voir des connaissances. Nouvel appareillage et mêmes bourrasques, et cette fois, c'est Lulworth Cove qui accueille le voilier. Keats y recopie son sonnet Étincelante étoile (Bright Star). Naples est en vue le , mais le navire est retenu en quarantaine pendant six semaines en raison d'une flambée de typhus à Londres. Ce n'est que le 4 ou le que commence l'ultime étape vers Rome dans une petite voiture de louage. Severn passe son temps à distraire au mieux son compagnon de voyage ; il attire son attention sur les buffles, les villages tout blancs, les vignobles ; parfois, il saute de la calèche et court, ramasse des fleurs des champs et les jette à l'intérieur. Arrivés le , les deux voyageurs consultent le médecin de la colonie anglaise, le D James Clark, et s'installent au 26 Place d'Espagne, au pied des escaliers de la Trinité des Monts dans un appartement donnant sur la Fontaine Barcaccia. Les semaines qui suivent se ressemblent : Keats crache le sang, surtout le matin ; mais il termine les romans de Maria Edgeworth, écrit à ses amis et se préoccupe du moral de Joseph Severn, cloué dans son rôle de garde-malade. Le médecin passe quatre ou cinq fois par jour. Noël est « des plus étranges et tristes » (strangest and saddest), écrit Severn. L'argent vient à manquer et une souscription est lancée à Londres. Le malade s'affaiblit, devient morose et parfois coléreux.
Severn s'occupe de tout, fait la cuisine, essuie les lèvres souillées, éponge le front en feu. Au début de , Keats déclare que les « pâquerettes poussent au-dessus de lui » (the daisies are growing over me) et donne ses instructions. Le vers seize heures, il murmure : « Severn ? relève-moi ? je ? je meurs ? je vais mourir en douceur ; n'aie pas peur ? sois fort, remercie Dieu qu'elle soit là » ; à onze heures, le bouillonnement du mucus ralentit, et Keats sombre dans la mort, si doucement que Severn, qui le tient dans ses bras, le croit toujours endormi. Comme l'écrit Alain Suied, son plus récent traducteur en français, « il n'aura pas vu les fleurs du printemps, ni entendu le rossignol ».
Ses dernières volontés sont à peu près respectées. Keats repose au cimetière protestant de Rome (Cimitero Acattolico di Roma). Comme il l'a demandé, aucun nom ne figure sur sa tombe et y est gravée l'épitaphe « Ici repose celui dont le nom était écrit sur l'eau », phrase sibylline rappelant le poète latin Catulle (LXX) : « Qui ne sait que les serments des belles sont écrits sur l'aile des papillons et le cristal des ondes ». Alain Suied interprète le mot name différemment, non pas « nom » mais « réputation » ; aussi traduit-il : « Ci-gît un dont la gloire fut écrite sur l'eau ».
Joseph Severn ? qui hésite ? et Charles Brown ? qui le regrette plus tard, « une sorte de profanation », écrit-il ? font inscrire au-dessus de l'épitaphe :
« This Grave contains all that was Mortal of a YOUNG ENGLISH POET, Who on his Death Bed in the Bitterness of his Heart at the Malicious Power of his Enemies, Desired these Words to be engraven on his Tomb Stone. »
« Cette tombe contient tout ce qui a été mortel d'un jeune poète anglais, qui, sur son lit de mort, dans l'amertume de son c?ur et soumis à la puissance malveillante de ses ennemis, a désiré que ces mots soient gravés sur sa pierre tombale. »
Par cet ajout, Severn et Brown entendent lancer au monde une protestation contre les critiques que Keats a dû endurer, en particulier lors de la publication d'Endymion, sous la plume de John Gibson Lockhart dans le Blackwood's Edinburgh Magazine : Johnny, Johnny Keats, Mr John, Mr John Keats, de l'école cockney (efféminée et sans éducation, politiquement infréquentable), un impudent valet des lettres, un apothicaire spécialisé dans la poésie diurétique et soporifique. Leigh Hunt rend même le magazine responsable de cette mort prématurée, ce qui conduit à un passage d'une méchante ironie à propos (snuffed out : « mouché comme une chandelle ») dans le Don Juan de Lord Byron (chant 11, strophe 60, vers 480) :
Tis strange the mind, that very fiery particle |
Il est étrange que l'intelligence, cette parcelle de feu, ? Aurélien Digeon (traduction). |
Dans l'indignation de la souffrance, Brown et Severn ont peut-être surinterprété les malheurs éditoriaux de Keats. En réalité, il ne raille que peu les attaques dont il est l'objet et son épitaphe n'est pas le fruit de l'amertume. Il adapte la traduction d'un proverbe grec et reste volontairement ambigu : c'est « dans » et non « sur » l'eau que s'inscrit son nom, ce qui le voue à une dissolution immédiate, mais par sa réintégration au sein de la nature, lui confère l'éternité. Comme l'écrit Andrew Motion, « [s]a poésie lui est venue comme « viennent les feuilles à l'arbre » ; désormais, elle appartient à la nature et au courant de l'histoire ».
Sept semaines après les funérailles, en juillet, Shelley écrit Adonais (æ'do?'ne??s), élégie à la mémoire de Keats. C'est un long poème de 495 vers et de 55 strophes spensériennes, à la manière pastorale de Milton dans Lycidas ('l?s?d?s), qui pleurent la tragédie, à la fois publique et personnelle, d'une mort si prématurée :
The loveliest and the last, |
Le plus beau et le dernier, |
Charles Cowden Clarke fait semer des pâquerettes sur la tombe, ce que John Keats, assure-t-il, aurait apprécié. Pour des raisons de santé publique, les autorités italiennes brûlent le mobilier du malade, changent les fenêtres, les portes et le parquet, décapent les mûrs, et envoient la facture à ses amis.
Stefanie Marsh décrit le site tel qu'il se présente au visiteur : « Dans le vieux cimetière, à peine plus qu'un terrain vague lorsque John Keats y fut inhumé, il y a aujourd'hui des pins-parasols, des massifs de myrte, des roses et des tapis de violettes sauvages ».
En 1828, les Réminiscences de Leigh Hunt accentuent la légende d'un Keats fragile et terrassé par le sort, mais dans une lettre à Brown écrite en 1829, Fanny Brawne s'insurge et explique que si faiblesse il y a pu avoir, elle ne saurait être imputée qu'à la maladie. Il serait temps, ajoute-t-elle, que la personnalité du poète fût présentée au grand jour telle qu'elle avait vraiment été. Elle forme aussi le v?u, à l'occasion de l'imminente publication d'un recueil réunissant des ?uvres de Keats, de Coleridge et de Shelley, « [que ces écrits] le sauvent de l'obscurité et de l'image fausse qu'on en donne ».
Charles Armitage Brown redoute d'annoncer la triste nouvelle à Fanny. La lettre de Joseph Severn met trois semaines pour atteindre Londres. Fanny tombe malade, perd beaucoup de poids, coupe ses cheveux et prend le deuil, comme si elle était l'épouse du défunt. Elle passe des heures seule à relire ses lettres et erre sur la lande, souvent tard dans la nuit. Elle entretient une correspondance affectueuse avec Fanny Keats, la petite s?ur du poète. Ce n'est qu'au bout de trois années qu'elle sort officiellement de son deuil. Deux malheurs l'accablent presque simultanément : son frère Sam meurt de la phtisie en 1828 et sa mère trouve la mort l'année suivante, brûlée vive.
Peu à peu, son entrain revient et en 1833, elle épouse Louis Lindo, juif séfarade ? ce qui déplaît à Fanny Keats qui dès lors ne lui donne plus de signe de vie ? qui change ensuite son nom en « Lindon », et lui donne deux enfants. La famille passe de nombreuses années en Europe, puis revient à Londres en 1859. Fanny meurt en 1865 et repose au cimetière de Brompton. Toute sa vie, elle garde le souvenir de Keats vivant en elle, mais n'en fait pas état. Ce n'est qu'en 1878 que les lettres qu'elle a reçues de Keats sont publiées et curieusement, elles déclenchent un scandale : si John Keats est traité de « mal élevé », de « pleurnicheur », etc., Fanny se voit vilipendée pour son inconstance et surtout sa froideur. Cette rumeur, quoique atténuée, persiste lors d'une réédition de 1936. La discrétion de Fanny Brawne demeure donc incomprise : non pas de l'indifférence ? elle est persuadée du génie du poète ?, mais la crainte, comme elle l'a exprimée en 1829, qu'il ne se voie exposé à encore plus de ridicule ; « [i]l lui est insoutenable, écrit Motion, qu'il puisse être aussi grotesquement incompris en son « existence posthume » qu'il l'avait été de son vivant ».
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