source wikipédia
Naissance | 16e arrondissement de Paris |
---|---|
Décès |
(à 51 ans) 16e arrondissement de Paris |
Sépulture |
Cimetière du Père-Lachaise, tombe de Marcel Proust (d) |
Nom de naissance |
Valentin Louis Georges Eugène Marcel Proust |
Nationalité |
française |
Formation |
École libre des sciences politiques Université de Paris |
Activités |
Romancier, critique littéraire, écrivain, essayiste, poète |
Rédacteur à |
Le Figaro |
Père |
Adrien Proust |
Mère |
Jeanne-Clémence Proust |
Fratrie |
Robert Proust |
Genres artistiques |
Roman-fleuve, essai, pastiche |
---|---|
Adjectifs dérivés |
« Proustien » |
Distinctions |
Prix Goncourt () Chevalier de la Légion d'honneur? () Grand prix des Meilleurs romans du demi-siècle |
Archives conservées par |
The Rare Book & Manuscript Library (en) |
|
Marcel Proust, né le à Paris où il est mort le , est un écrivain français, dont l'?uvre principale est la suite romanesque intitulée À la recherche du temps perdu, publiée de 1913 à 1927.
Issu d'une famille aisée et cultivée, d'origine juive par sa mère, catholique par son père (professeur de médecine à Paris), Marcel Proust est un enfant de santé fragile, et il a toute sa vie de graves difficultés respiratoires causées par l'asthme. Très jeune, il fréquente des salons aristocratiques où il rencontre artistes et écrivains, ce qui lui vaut une réputation de dilettante mondain. Profitant de sa fortune, il n'a pas d'emploi et entreprend en 1895 un roman qui reste à l'état de fragments (publiés posthumément en 1952 sous le titre Jean Santeuil). En 1900, il abandonne son projet et voyage à Venise et Padoue pour découvrir les ?uvres d'art, en suivant les pas de John Ruskin, sur qui il publie des articles et dont il traduit deux livres : La Bible d'Amiens et Sésame et les Lys.
C'est en 1907 que Marcel Proust commence l'écriture de son grand ?uvre À la recherche du temps perdu dont les sept tomes sont publiés entre 1913 (Du côté de chez Swann) et 1927, c'est-à-dire en partie après sa mort ; le deuxième volume, À l'ombre des jeunes filles en fleurs, obtient le prix Goncourt en 1919. Marcel Proust meurt épuisé en 1922, d'une bronchite mal soignée : il est inhumé au cimetière du Père-Lachaise à Paris, accompagné par une assistance nombreuse qui salue un écrivain d'importance et que les générations suivantes placent au plus haut en faisant de lui un mythe littéraire.
L'?uvre romanesque de Marcel Proust est une réflexion majeure sur le temps et la mémoire affective comme sur les fonctions de l'art qui doit proposer ses propres mondes, mais c'est aussi une réflexion sur l'amour et la jalousie, avec un sentiment de l'échec et du vide de l'existence qui colore en gris la vision proustienne où l'homosexualité tient une place importante. La Recherche constitue également une vaste comédie humaine de plus de deux cents personnages. Proust recrée des lieux révélateurs, qu'il s'agisse des lieux de l'enfance dans la maison de tante Léonie à Combray ou des salons parisiens qui opposent les milieux aristocratiques et bourgeois, ces mondes étant évoqués d'une plume parfois acide par un narrateur à la fois captivé et ironique. Ce théâtre social est animé par des personnages très divers dont Proust ne dissimule pas les traits comiques : ces figures sont souvent inspirées par des personnes réelles, ce qui fait d'À la recherche du temps perdu en partie un roman à clef et le tableau d'une époque. La marque de Proust est aussi dans son style aux phrases souvent très longues, qui suivent la spirale de la création en train de se faire, cherchant à atteindre une totalité de la réalité qui échappe toujours.
Marcel Proust naît à Paris (quartier d'Auteuil dans le 16 arrondissement), dans la maison de son grand-oncle maternel, Louis Weil, au 96, rue La Fontaine. Cette maison fut vendue puis détruite pour construire des immeubles, eux-mêmes démolis lors du percement de l'avenue Mozart.
Sa mère, née Jeanne Clémence Weil (Paris, 1849 - id., 1905), fille de Nathé Weil (Paris, 1814 - id., 1896), un agent de change et de Adèle Berncastel (Paris, 1824 - id., 1890), appartient à une famille de la grande bourgeoisie juive dont certains membres jouent un rôle important dans l'histoire du judaïsme français, notamment un oncle de Mme Proust : Godchaux Weil, alias Ben Lévi, un écrivain célèbre dans la communauté juive, et Adolphe Crémieux, président de l'Alliance israélite universelle et ancien ministre, grand-oncle et témoin de mariage de Mme Proust. Celle-ci, issue d'un milieu très cultivé, apporte à son fils une culture profonde, avec une affection parfois envahissante.
Son père, le D Adrien Proust (Illiers, 1834 - Paris, 1903), fils de François Proust (1800-1801 - Illiers, 1855), un commerçant prospère d'Illiers (Eure-et-Loir) et de Virginie née Catherine Virginie Torcheux (Cernay, 1809 - Illiers, 1889), est professeur à la faculté de médecine de Paris après avoir commencé ses études au séminaire, et un grand hygiéniste, conseiller du gouvernement pour la lutte contre les épidémies. Marcel a un frère cadet, Robert, né le (mort en 1935), qui devient chirurgien. Son parrain est le collectionneur d'art Eugène Mutiaux.
Sa vie durant, Marcel a attribué sa santé fragile aux privations subies par sa mère au cours de sa grossesse, pendant le siège de 1870, puis pendant la Commune de Paris. C'est pour se protéger des troubles entraînés par la Commune et sa répression que ses parents ont cherché refuge à Auteuil. L'accouchement est difficile, mais les soins paternels sauvent le nouveau-né.
« Peu avant la naissance de Marcel Proust, pendant la Commune, le docteur Proust avait été blessé par la balle d'un insurgé, tandis qu'il rentrait de l'hôpital de la Charité. Madame Proust, enceinte, se remit difficilement de l'émotion qu'elle avait éprouvée en apprenant le danger auquel venait d'échapper son mari. L'enfant qu'elle mit au monde bientôt après naquit si débile que son père craignit qu'il ne fût point viable. On l'entoura de soins ; il donna les signes d'une intelligence et d'une sensibilité précoces, mais sa santé demeura délicate. »
Sa santé est fragile et le printemps devient pour lui la plus pénible des saisons. Les pollens libérés par les fleurs dans les premiers beaux jours provoquent chez lui de violentes crises d'asthme. À 9 ans, alors qu'il rentre d'une promenade au bois de Boulogne avec ses parents, il étouffe, sa respiration ne revient pas, son père le voit mourir. Un ultime sursaut le sauve. Voilà maintenant la menace qui plane sur l'enfant, et sur l'homme plus tard : la mort peut le saisir dès le retour du printemps, à la fin d'une promenade, n'importe quand, si une crise d'asthme est trop forte.
Bien que réunissant les conditions pour faire partie de deux religions, fils d'un père catholique et d'une mère juive qui refusa de se convertir au christianisme par égard pour ses parents, lui-même baptisé à l'église Saint-Louis-d'Antin à Paris, Marcel Proust a revendiqué son droit de ne pas se définir par rapport à une religion (en tout cas, pas la religion juive), mais il écrit être catholique et ses funérailles eurent bien lieu à l'église. Néanmoins, dans sa correspondance, on peut lire qu'il n'était « pas croyant ». Dreyfusard convaincu, il fut sensible à l'antisémitisme prégnant de son époque et subit lui-même les assauts antisémites de certaines plumes célèbres.
Il est au début élève d'un petit cours primaire, le cours Pape-Carpantier, où il a pour condisciple Jacques Bizet, le fils du compositeur Georges Bizet (décédé en 1875) et de son épouse Geneviève Halévy. Celle-ci tient d'abord un salon chez son oncle, où se réunissent des artistes, puis, lorsqu'elle se remarie en 1886 avec l'avocat Émile Straus, tient son propre salon, dont Proust sera un habitué.
Marcel Proust étudie ensuite à partir de 1882 au lycée Condorcet. Il redouble sa classe de cinquième et est inscrit au tableau d'honneur pour la première fois en . Il est souvent absent à cause de sa santé fragile, mais il connaît déjà Victor Hugo et Musset par c?ur, comme dans Jean Santeuil. Il est l'élève en philosophie d'Alphonse Darlu, et il se lie d'une amitié exaltée à l'adolescence avec Jacques Bizet. Il est aussi ami avec Fernand Gregh, Jacques Baignères et Daniel Halévy (le cousin de Jacques Bizet), avec qui il écrit dans des revues littéraires du lycée.
Le premier amour d'enfance et d'adolescence de l'écrivain est Marie de Benardaky, fille d'un diplomate polonais, sujet de l'Empire russe, avec qui il joue dans les jardins des Champs-Élysées, le jeudi après-midi, avec Antoinette et Lucie Félix-Faure Goyau, filles du futur président de la République, Léon Brunschvicg, Paul Bénazet ou Maurice Herbette. Il cessa de voir Marie de Benardaky en 1887, les premiers élans pour aimer ou se faire aimer par quelqu'un d'autre que sa mère avaient donc échoué. C'est la première « jeune fille », de celles qu'il a tenté de retrouver plus tard, qu'il a perdue.
Les premières tentatives littéraires de Proust datent des dernières années du lycée. Plus tard, en 1892, Gregh fonde une petite revue, avec ses anciens condisciples de Condorcet, Le Banquet, dont Proust est le contributeur le plus assidu. Commence alors sa réputation de snobisme, car il est introduit dans plusieurs salons parisiens et entame son ascension mondaine. Il est ami un peu plus tard avec Lucien Daudet, fils du romancier Alphonse Daudet, qui a six ans de moins que lui. L'adolescent est fasciné par le futur écrivain. Ils se sont rencontrés au cours de l'année 1895. Jean Lorrain, dans une chronique perfide du Journal, fait une allusion à leur liaison, au moins sentimentale : Proust et Lorrain s'affrontent en duel au pistolet le dans les bois de Meudon, sans conséquences.
Proust devance l'appel sous les drapeaux et accomplit son service militaire en 1889-1890 à Orléans, au 76 régiment d'infanterie, et en garde un souvenir heureux. Il devient ami avec Robert de Billy. C'est à cette époque qu'il fait connaissance à Paris de Gaston Arman de Caillavet, qui devient un ami proche, et de la fiancée de celui-ci, Jeanne Pouquet, dont il est amoureux. Il s'inspire de ces relations pour les personnages de Robert de Saint-Loup et de Gilberte. Il est aussi introduit au salon de Madame Arman de Caillavet à qui il reste attaché, jusqu'à la fin et qui lui fait connaître le premier écrivain célèbre de sa vie, Anatole France (modèle de Bergotte).
Rendu à la vie civile, il suit à l'École libre des sciences politiques les cours d'Albert Sorel (qui le juge « fort intelligent » lors de son oral de sortie) et d'Anatole Leroy-Beaulieu. Il sort de l'école en 1890 de la section diplomatique, non diplômé. Il propose à son père de passer les concours diplomatiques ou celui de l'École des chartes. Plutôt attiré par la seconde solution, il écrit au bibliothécaire du Sénat, Charles Grandjean, et décide dans un premier temps de s'inscrire en licence à la Sorbonne, où il suit les conférences d'Henri Bergson (même s'il lui enseignait encore au lycée Henri-IV), son cousin par alliance, au mariage duquel il est garçon d'honneur et dont l'influence sur son ?uvre a été parfois jugée importante, ce dont Proust s'est toujours défendu. Marcel Proust obtient d'abord une licence de droit, puis une licence es lettres en philosophie en .
En 1896, il publie Les Plaisirs et les Jours, un recueil de poèmes en prose, portraits et nouvelles dans un style fin de siècle, illustré par Madeleine Lemaire, dont Proust fréquente le salon, salon où il fait la connaissance de Reynaldo Hahn, élève de Jules Massenet, qui vient chanter ses Chansons grises au printemps 1894. C'est également chez Madeleine Lemaire, au château de Réveillon, que Proust, qui a 23 ans, et Reynaldo Hahn, qui vient d'avoir 20 ans, passent une partie de l'été 1894. Le livre passe à peu près inaperçu et la critique l'accueille avec sévérité ? notamment l'écrivain Jean Lorrain, réputé pour la férocité de ses jugements. Il en dit tant de mal qu'il se retrouve au petit matin sur un pré, un pistolet à la main. Face à lui, également un pistolet à la main, Marcel Proust, avec pour témoin le peintre Jean Béraud. Tout se termine sans blessures, mais non sans tristesse pour l'auteur débutant. Ce livre vaut à Proust une réputation de mondain dilettante qui ne se dissipe qu'après la publication des premiers tomes d'À la recherche du temps perdu.
La fortune familiale lui assure une existence facile et lui permet de fréquenter les salons de la grande bourgeoisie et de l'aristocratie du Faubourg Saint-Germain et du Faubourg Saint-Honoré afin de recueillir des matériaux en vue de son ?uvre littéraire.
Il a 18 ans lorsqu'il accède au salon de Madame Straus grâce à l'amitié de son fils Jacques Bizet, qu'il fréquente depuis des années. Dans les lettres qu'il lui écrit, il lui déclare un « amour platonique » qu'il la supplie de considérer gentiment. Au cours des cinq années qui suivent, il devient un habitué de ce salon ouvert le dimanche. Il y rencontre des hommes du monde tel Charles Haas, futur modèle de Swann, ainsi que des musiciens, des peintres et des écrivains, notamment Guy de Maupassant, Georges de Porto-Riche.
Dès 1891, Proust aperçoit les limites de ce salon, lors du bal donné en mai 1891 par la princesse de Léon, auquel M Straus n'est pas invitée. Surtout, l'épisode des « souliers rouges », en mars 1892, lui révèle la duplicité et la superficialité des relations mondaines. Il reporte alors son aspiration à côtoyer la grande aristocratie sur Laure de Chevigné, à qui il consacre en mai 1892 un portrait extrêmement flatteur, mais il faudra plusieurs années avant que la flamboyante descendante du marquis de Sade daigne l'accepter dans son salon.
Il est présenté à Robert de Montesquiou en avril 1893, lors d'une réception donnée par Madeleine Lemaire pour fêter la sortie prochaine de son recueil de poèmes, Le Chef des odeurs suaves. Il le flatte abondamment : il écrit d'ailleurs que « la flatterie n'est parfois que l'épanchement de la tendresse » et admet avec ses amis avoir recours à la flagornerie par système. À l'invitation du comte, Proust entrera alors en correspondance avec lui. Il rédige à ce moment pour La Revue blanche un texte intitulé « Mondanité de Bouvard et Pécuchet » qui semble témoigner de son sentiment d'inadéquation à l'idée de pénétrer dans des salons véritablement aristocratiques. Le comte lui fera rencontrer, en 1894, la comtesse Greffulhe, cousine de Montesquiou et belle-mère de son ami Armand de Gramont, duc de Guiche. Il fréquentera aussi les salons d'Hélène Standish, née de Pérusse des Cars, de la princesse de Wagram, née Rothschild et de la comtesse d'Haussonville, etc. Il retire de ces rencontres des observations qu'il consigne sous la forme d'« études », de conte ou de critique de livre qu'il publie dans Le Banquet en 1892 et 1893. Geneviève Straus sera représentée sous les traits de M Marmet dans Jean Santeuil. Proust accumule ainsi le matériau nécessaire à la construction de son ?uvre : une conscience plongée en elle-même, qui recueille tout ce que le temps vécu y a laissé intact, et se met à reconstruire, à donner vie à ce qui fut ébauches et signes. Lent et patient travail de déchiffrage, comme s'il fallait en tirer le plan nécessaire et unique d'un genre qui n'a pas de précédent, qui n'aura pas de descendance : celui d'une cathédrale du temps. Pourtant, rien du gothique répétitif dans cette recherche, rien de pesant, de roman - rien du roman non plus, pas d'intrigue, d'exposition, de n?ud, de dénouement.
Le , il passe le concours de bibliothécaire à la Mazarine, il y fait quelques apparitions pendant les quatre mois qui suivent et demande finalement son congé. En juillet, il passe des vacances à Kreuznach, ville d'eau allemande, avec sa mère, puis une quinzaine de jours à Saint-Germain-en-Laye, où il écrit une nouvelle, « La Mort de Baldassare Silvande », publiée dans La Revue hebdomadaire, le suivant et dédicacée à Reynaldo Hahn. Il passe une partie de mois d'août avec Reynaldo Hahn chez M Lemaire dans sa villa de Dieppe. Ensuite, en septembre, les deux amis partent pour Belle-Île-en-Mer et Beg Meil. C'est l'occasion de découvrir les paysages décrits par Renan. Proust rentre à Paris mi-octobre.
C'est à partir de cet été 1895 qu'il entreprend la rédaction d'un roman qui relate la vie d'un jeune homme épris de littérature dans le Paris mondain de la fin du XIX siècle. On y trouve notamment l'évocation des séjours faits en 1894 et 1895 par Proust à Réveillon, autre propriété de M Lemaire. Ce livre à forte teneur autobiographique, que l'on a intitulé posthumement Jean Santeuil, du nom du personnage principal, resta à l'état de fragments manuscrits, qui furent découverts et édités en 1952 par Bernard de Fallois.
L'influence de son homosexualité sur son ?uvre semble pour sa part importante, puisque Marcel Proust sera l'un des premiers romanciers européens à traiter ouvertement de l'homosexualité (masculine et féminine) dans ses écrits, plus tard. Pour l'instant, il n'en fait aucunement part à ses intimes, même si sa première liaison (avec Reynaldo Hahn) date de cette époque.
Léon Daudet décrit Proust arrivant au restaurant Weber vers 1905 :
« Vers sept heures et demie arrivait chez Weber un jeune homme pâle, aux yeux de biche, suçant ou tripotant une moitié de sa moustache brune et tombante, entouré de lainages comme un bibelot chinois. Il demandait une grappe de raisin, un verre d'eau et déclarait qu'il venait de se lever, qu'il avait la grippe, qu'il s'allait recoucher, que le bruit lui faisait mal, jetait autour de lui des regards inquiets, puis moqueurs, en fin de compte éclatait d'un rire enchanté et restait. Bientôt sortaient de ses lèvres, proférées sur un ton hésitant et hâtif, des remarques d'une extraordinaire nouveauté et des aperçus d'une finesse diabolique. Ses images imprévues voletaient à la cime des choses et des gens, ainsi qu'une musique supérieure, comme on raconte qu'il arrivait à la taverne du Globe, entre les compagnons du divin Shakespeare. Il tenait de Mercutio et de Puck, suivant plusieurs pensées à la fois, agile à s'excuser d'être aimable, rongé de scrupules ironiques, naturellement complexe, frémissant et soyeux »
? Léon Daudet, Salons et Journaux, chap. IX.
Vers 1900, il abandonne la rédaction de Jean Santeuil. Il se tourne alors vers l'esthète anglais John Ruskin, que son ami Robert de Billy, diplomate en poste à Londres de 1896 à 1899, lui fait découvrir. Ruskin ayant interdit qu'on traduise son ?uvre de son vivant, Proust le découvre dans le texte, et au travers d'articles et d'ouvrages qui lui sont consacrés, comme celui de Robert de La Sizeranne, intitulé Ruskin et la religion de la beauté. À la mort de Ruskin, en 1900, Proust décide de le traduire. À cette fin, il entreprend plusieurs « pèlerinages ruskiniens », dans le nord de la France, à Amiens, et surtout à Venise, où il séjourne avec sa mère en mai 1900 à l'hôtel Danieli, où logèrent autrefois Musset et George Sand. Il retrouve Reynaldo Hahn et sa cousine Marie Nordlinger qui demeurent non loin, et ils visitent Padoue, où Proust découvre les fresques de Giotto, Les Vertus et les Vices qu'il introduit dans La Recherche. Nordlingen, que Proust appellera « la rose française de Manchester », était un expert en art anglais qui fut très utile à Proust notamment pour les traductions des ?uvres de Ruskin. Pendant ce temps, ses premiers articles sur Ruskin paraissent dans La Gazette des Beaux Arts.
Cet épisode est repris dans Albertine disparue. Les parents de Marcel jouent d'ailleurs un rôle déterminant dans le travail de traduction. Le père l'accepte comme un moyen de mettre à un travail sérieux un fils qui se révèle depuis toujours rebelle à toute fonction sociale et qui vient de donner sa démission d'employé non rémunéré de la bibliothèque Mazarine. La mère joue un rôle beaucoup plus direct. Marcel Proust maîtrisant mal l'anglais elle se livre à une première traduction mot à mot du texte anglais ; à partir de ce déchiffrage, Proust peut alors « écrire en excellent français, du Ruskin », comme le nota un critique à la parution de sa première traduction, La Bible d'Amiens (1904).
À l'automne 1900, la famille Proust emménage au 45 de la rue de Courcelles. C'est à cette époque que Proust fait la connaissance du prince Antoine Bibesco chez sa mère, la princesse Hélène, qui tient un salon où elle invite surtout des musiciens (dont Fauré qui est si important pour la Sonate de Vinteuil) et des peintres. Les deux jeunes gens se retrouvent après le service militaire dans la Roumanie du prince, en automne 1901. Antoine Bibesco devient un confident intime de Proust, jusqu'à la fin de sa vie, tandis que l'écrivain voyage avec son frère Emmanuel Bibesco, qui aime aussi Ruskin et les cathédrales gothiques.
Proust continue encore ses pèlerinages ruskiniens en visitant notamment la Belgique et la Hollande en 1902 avec Bertrand de Fénelon (autre modèle de Saint-Loup) qu'il a connu par l'intermédiaire d'Antoine Bibesco et pour qui il éprouve un attachement qu'il ne peut avouer. Le départ du fils cadet, Robert, qui se marie en 1903, transforme la vie quotidienne de la famille.
La première phrase de l'?uvre est posée en 1907. Pendant quinze années, Proust vit en reclus dans sa chambre tapissée de liège, au deuxième étage du 102, boulevard Haussmann, où il a emménagé le après la mort de ses parents (le père en 1903 ; la mère en 1905), et qu'il quittera en 1919.
Après le décès de sa mère, entre décembre 1905 et janvier 1906, il fit un séjour à Billancourt au Sanatorium pour névrosés des Docteurs Alice et Paul Sollier qui, en 1924, devint l'hôpital Ambroise-Paré.
Portes fermées, Proust écrit, ne cesse de modifier et de retrancher, d'ajouter en collant sur les pages initiales les « paperolles » que l'imprimeur redoute. Plus de deux cents personnages vivent sous sa plume, couvrant quatre générations.
Après la mort de ses parents, sa santé déjà fragile se détériore davantage en raison de son asthme. Il s'épuise au travail, dort le jour et ne sort ? rarement ? que la nuit tombée. Il dîne souvent, seul ou avec des amis, au Ritz, où dès 1917, il rencontre le jeune serveur suisse Henri Rochat. De 1919 à 1921, il en fait son secrétaire particulier et lui voue une passion dévorante. Son ?uvre principale, À la recherche du temps perdu, est publiée entre 1913 et 1927.
Le premier tome, Du côté de chez Swann (1913), est refusé chez Gallimard sur les conseils d'André Gide, malgré les efforts du prince Antoine Bibesco et de l'écrivain Louis de Robert. Gide exprime ses regrets par la suite. Finalement, le livre est édité à compte d'auteur chez Grasset et Proust paie des critiques pour en dire du bien. L'année suivante, le , Proust perd son secrétaire et ami, Alfred Agostinelli, dans un accident d'avion. Ce deuil, surmonté par l'écriture, traverse certaines des pages de La Recherche.
Les éditions Gallimard acceptent le deuxième volume, À l'ombre des jeunes filles en fleurs, pour lequel Proust reçoit en 1919 le prix Goncourt.
C'est l'époque où il songe à entrer à l'Académie française, où il a des amis ou soutiens tels que Robert de Flers, René Boylesve, Maurice Barrès, Henri de Régnier? Fort de son succès au Prix Goncourt, il écrit à Jacques Rivière, directeur de ?La Nouvelle Revue Française?: ?serait-il plutôt agréable ou désavantageux à la NRF, plutôt avantageux ou désavantageux pour mes livres si je me présentais (avec chance de succès sans cela je ne le ferais pas) à l'Académie?? La réponse qu'il reçut fut suffisamment mitigée pour qu'il renonce à ce projet.
Il ne lui reste plus que trois années à vivre et il travaille sans relâche à l'écriture des cinq livres suivants de La Recherche, assisté par sa gouvernante Céleste Albaret.
Il meurt, épuisé, le samedi , emporté par une bronchite mal soignée, dans son appartement du 44, rue de l'Amiral-Hamelin à Paris. Son frère Robert appelle aussitôt le peintre ami Paul César Helleu, pour qu'il vienne réaliser une pointe sèche sur cuivre, du masque mortuaire du défunt, selon ses volontés exprimées un mois plus tôt. Helleu a inspiré Proust pour son personnage Elstir dans son ?uvre À la recherche du temps perdu, lui rendant ainsi hommage. Une photographie prise par Man Ray le surlendemain de la mort de l'écrivain, à la demande de Jean Cocteau, montre un Marcel Proust de profil, barbu, entouré de linge blanc sur son lit de mort, le . Les funérailles ont lieu le lendemain, mardi , en l'église Saint-Pierre-de-Chaillot, avec les honneurs militaires dus à un chevalier de la Légion d'honneur. L'assistance est nombreuse. Barrès dit à Mauriac sur le parvis de l'église : « Enfin, c'était notre jeune homme ! ».
Il est enterré au cimetière du Père-Lachaise à Paris, division 85, dans le caveau familial.
Erreur de référence?: Des balises <ref>
existent pour un groupe nommé «?alpha?», mais aucune balise <references group="alpha"/>
correspondante n'a été trouvée